« Pour réinventer l’entreprise, commençons par agir de l’intérieur ! »
À 38 ans, Sabrina Murphy incarne une vision nouvelle de l’entreprise. Intrapreneure dans l’âme et convaincue que le changement peut se faire sans rupture, cette passionnée de management met son énergie et son expertise au service de BNP Paribas depuis près de 8 ans. En 2014, elle crée le People’s LAB, premier programme d’intrapreneuriat transversal du groupe, avec un leitmotiv : rendre les collaborateurs acteurs de leur vie professionnelle et moteurs du changement dans l’entreprise. Depuis, Sabrina Murphy pilote ce dispositif nouveau, un ovni qui ne cesse d’intriguer et d’inspirer, bien au delà des murs de l’entreprise.
Du marketing à l’intrapreneuriat
Hybride, le parcours de Sabrina Murphy pourrait se résumer à « laisser la place au champ des possibles ». Après une école de commerce, elle part étudier en Malaisie puis en stage à Londres, avant de débuter sa carrière dans des fonctions de marketing analytique à Montréal. Entrée chez BNP Paribas par le biais d’une filiale, elle y acquiert rapidement des responsabilités importantes en marketing stratégique, gérant des budgets à six chiffres. Elle évoluera durant trois ans à ce poste qu’elle décrit comme très politique et formateur, développant inconsciemment des compétences liées aux ressources humaines.
En 2008, elle fait un premier pas de côté en acceptant une nouvelle mission au sein de la banque : « J’avais envie d’aller plus loin, lorsqu’on m’a proposé un poste de développement RH visant à professionnaliser une filière naissante ». Son objectif ? Donner aux quelques 1500 collaborateurs faisant partie de son scope, les moyens de développer au mieux leur parcours. Pour ce faire, elle lance en 2012 le « Positive People Change », un programme visant à faire évoluer les process RH en donnant davantage de place à l’engagement des salariés, à la transversalité et à l’intelligence collective. Elle développe un premier portail de blended learning, instaure des séminaires d’intégration pour les nouveaux arrivants, active des rencontres de co-construction pour les top managers et se met au coaching, le tout de manière curieuse et intuitive. « C’est à cette époque que j’ai commencé à expérimenter, à oser au quotidien. Sans le savoir, j’étais déjà dans un laboratoire ».
En 2014, au retour de son deuxième congé maternité, elle ressent à nouveau le besoin de challenger les limites de son métier. Pour autant, Sabrina Murphy a conscience de l’importance du timing. « Il faut savoir s’adapter au temps de l’entreprise, laisser les projets innovants se mettre en place, évoluer, décanter. Si l’on est trop décalé, trop avant-gardiste, ça ne fonctionne pas non plus ». À cette contrainte s’ajoutent des questionnements nouveaux sur le sens de son travail au sein d’une grande banque. Et c’est au détour d’une conversation avec une amie que le déclic survient. « Tu sais, pour faire changer un système, être à l’intérieur c’est bien aussi ! » lui lance-t-elle. À l’époque, les exemples d’intrapreneuriat sont rares, mais ce concept lui apparait comme le meilleur moyen pour agir pleinement sur les sujets qui la passionnent : d’une part, le cœur de l’entreprise à savoir son activité, et d’autre part, le management tel qu’elle l’envisage : un moyen de mettre les collaborateurs en responsabilité vis-à-vis de leur évolution professionnelle.
People’s LAB : quand les banquiers rendent le monde meilleur
Si les entreprises doivent innover en permanence, les salariés souhaitent de plus en plus être acteurs de ces transformations. C’est forte de ce constat que Sabrina Murphy crée en 2014 le People’s LAB, premier accélérateur d’intrapreneurs du Groupe BNP Paribas. Les collaborateurs qui l’intègrent se réunissent un jour par semaine pendant quatre mois au sein du WAI Paris, et profitent de la dynamique de la promotion pour tenter de donner vie à leurs projets et participer à écrire l’avenir de l’entreprise. Comme l’explique sa fondatrice, le dispositif permet d’élargir l’apport créatif en mettant à profit l’énergie de collaborateurs, qui en plus de connaitre parfaitement l’entreprise et ses activités, foisonnent d’idées. « L’intrapreneuriat permet de faire converger deux besoins majeurs pour l’entreprise : réengager et innover » indique Sabrina Murphy. Il crée un cadre raisonnable pour pouvoir être audacieux et prendre des risques en son sein. La promesse du People’s LAB est l’innovation — tournée en priorité vers les besoins de l’entreprise — et son facteur clé l’humain, permettant de s’affranchir de la logique verticale pour faire se rencontrer les personnes susceptibles de rendre le projet possible.
Basé sur la mobilisation de tout un écosystème autour du projet, l’intrapreneuriat provoque une transformation organisationnelle et culturelle, à tous les niveaux de l’entreprise. Ainsi, les managers sont accompagnés au même titre que les intrapreneurs — dits labees. « Pour un(e) intrapreneur(e), le rôle d’un manager est essentiel » explique Sabrina Murphy. En effet, le rythme est soutenu, et les labees n’ont que quatre mois pour valider 3 étapes cruciales : transformer une idée en un business model viable, identifier les bons investisseurs en interne, puis les convaincre de débloquer les autorisations, les budgets et le temps nécessaires à la concrétisation du projet. « L’entreprise est un système vivant, rappelle Sabrina, et le rôle du People’s LAB est de permettre aux greffes de prendre ».
Au terme de l’accompagnement, ceux ayant obtenu tous les feux verts peuvent dédier une partie de leur temps de travail au projet, voire être détachés pendant plusieurs mois. Certains vont jusqu’à créer de nouvelles business unit et leur nouveau job, comme ce fut le cas pour Marie Dahl, à l’origine chef de produit et désormais en charge de developper une marketplace B2B chez BNP Paribas Leasing Solutions. L’idée ? Mettre en relations des entreprises ayant investi dans des équipements trop peu utilisés avec d’autres sociétés qui ont des besoins ponctuels ou souhaitent acheter un matériel d’occasion. Le résultat ? Une plateforme d’économie « collaborative » adaptée au monde professionnel. En tant qu’intrapreneure, Marie voit en chaque problème un nouveau challenge à relever et pense expérimentations, rebonds, solutions, avant expertise. « Au sein du People’s LAB, elle a surtout démontré sa capacité à fédérer, aller chercher les bonnes personnes et convaincre » explique Sabrina.
L’engagement des collaborateurs, un moteur essentiel pour le business
En deux ans, le People’s LAB a démontré son utilité et sa pertinence pour BNP Paribas, à tel point qu’il fait désormais partie de la quarantaine d’initiatives présentées aux membres des différents ComEx au niveau mondial. Intégré au rapport annuel et repris dans le rapport RSE, il compte désormais parmi les documents de référence du Groupe. « Pour moi, cela a une valeur énorme, car il est reconnu comme étant utile à l’entreprise » explique Sabrina Murphy. Marrainé depuis sa genèse par la responsable diversité et inclusion du groupe, le dispositif s’inscrit comme le maillon d’une chaine, au sein d’un eco-système d’innovation plus global. « Le People’s LAB répond à des enjeux de développement business, en complémentarité avec d’autres dispositifs existants tels que l’Atelier BNP Paribas, le Cardif LAB ou encore l’Innovation Factory de BNP Paribas Securities Services » indique Sabrina Murphy. Prochaine étape : essaimer le dispositif en interne, en créant des équivalents pour les différentes entités du groupe. « Je souhaite que notre expérience d’intrapreneuriat déborde de BNP Paribas et puisse inspirer beaucoup d’autres entreprises ! ».
Sabrina Murphy en est persuadée, le management de demain se jouera dans sa capacité à revisiter le fonctionnement même de l’entreprise : la manière dont les collaborateurs deviennent acteurs du changement, et dont les managers peuvent accompagner ces évolutions, faire évoluer la relation hiérarchique. Pour elle, le changement consiste à faire bouger les choses de manière pérenne. « Les gens qui s’agitent, les coups d’épée dans l’eau et les effets d’annonce sont pléthore, mais ce qui m’intéresse, c’est de générer des mouvements qui perdurent, et font bouger à la fois l’individuel et l’organisationnel. Car il faut bien comprendre qu’au-delà des chiffres et derrière les 38 intrapreneurs, il y a 38 eco-systèmes qui bougent : le n+1, le n+2, les gestionnaires de carrières, les investisseurs, responsables des business unit, le top management… Et ceci dans toutes nos lignes d’activité. L’impact est multidirectionnel ! » s’enquiert-elle. Finalement, la principale vertu d’un dispositif d’intrapreneuriat n’est autre que de transformer une énergie individuelle en mouvement collectif, d’agir comme un catalyseur de temps et d’énergie pour enclencher une évolution concrète et durable, initiée par les collaborateurs et portée par les dirigeants.
Avant de porter l’intrapreneuriat chez BNP Paribas, Sabrina Murphy l’a elle-même expérimenté. « Je m’en rends compte aujourd’hui, il y a une mise en abyme permanente entre mon propre parcours et ce que je crée pour les autres », dit-elle. « Je suis moi-même intrapreneure : mon métier n’était pas du tout celui-ci au départ, au fur et à mesure que j’avançais pour rendre les collaborateurs acteurs de leur carrière, je devais suivre le même chemin qu’eux ». C’est sans doute ce qui fait la singularité du parcours de Sabrina Murphy, et la pertinence du programme qu’elle dirige aujourd’hui.
Propos recueillis par Alicia Izard
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