Le 28 janvier dernier, Les Entreprises pour la Cité, en partenariat avec Le Philantro-Lab, co-organisaient une table-ronde pour aborder le rôle des entreprises mécènes dans le soutien de l’emploi et du développement des structures associatives. L’occasion de mettre en exergue les besoins structurels du secteur associatif et les manières dont les mécènes peuvent y répondre : financement de frais de fonctionnement, aide à la professionnalisation de leurs pratiques, accompagnement à la mesure d’impact social… Tout en s’interrogeant sur les enjeux et opportunités de ces pratiques. Stéphanie Bachelet de la Fondation Transdev, Mathilde Cuchet-Chosseler du Don en Confiance, Athina Marmorat de l’association Rêv’elles ainsi que Laureen Sarfati de la Fondation nehs sont venues partager leurs points de vue sur cette thématique.
Aujourd’hui, le poids du secteur associatif dans le paysage économique français reste important : les associations emploient en effet 1,8 millions de salariés français[1]. Pourtant, les conditions de travail dans le secteur demeurent précaires : les salaires sont souvent sous-évalués (des salaires bruts annuels en moyenne 26% inférieurs aux salaires privés), les contrats de travail sont majoritairement des CDD, et leurs moyens ont été mis à mal avec la crise sanitaire survenue en 2020. Face à ces constats, les mécènes qui soutiennent ces structures d’intérêt général ont un rôle à jouer pour leur permettre de pérenniser leur fonctionnement et leurs actions.
Le financement de frais de fonctionnement : une pratique peu développée mais favorable au développement des associations
La table ronde a débuté avec quelques points de vigilance identifiés par les parties prenantes présentes concernant les modes de soutien des mécènes aux structures d’intérêt général.
Flécher son soutien au projet vs. financer le fonctionnement de l’association
Dans le cadre d’appels à projets, certains financeurs choisissent la carte du long terme en proposant de financer les frais de fonctionnement ou les projets d’investissement de leurs associations partenaires, dans l’optique de soutenir l’emploi et la viabilité de ces organisations. D’autres, au contraire, s’y refusent, privilégiant la plupart du temps le financement de frais liés à un projet spécifique. Une façon de flécher précisément l’attribution des fonds, mais qui ne permet pas d’assurer pour autant la durabilité des structures soutenues.
Qu’appelle-t-on frais de fonctionnement des structures associatives ?
- Les fonctions administratives, financières, juridiques, ressources humaines, informatiques,
- Les frais de gouvernance,
- Les frais de réglementations et les moyens qui s’y rattachent
- Les frais qui relèvent de la direction générale
- La communication institutionnelle (hors prévention, sensibilisation et hors collecte de fond)
Des frais de fonctionnement trop faibles
Autre point de vigilance souligné par Mathilde Cuchet-Chosseler, Déléguée à la déontologie et aux relations extérieures du Don en Confiance, un organisme d’intérêt général qui veille à la transparence de l’usage des dons et legs par les associations, : la tendance des associations à céder à la pression du grand public, des médias, et des mécènes de vouloir des frais de fonctionnement les plus faibles possibles. Si une structure associative a des frais de fonctionnements très bas, cela peut être synonyme d’un manque de rigueur et donner lieu à de la mauvaise gestion, « c’est économisé sur la sécurisation de la structure » affirme-t-elle. Plus que le moindre coût, il faut rechercher l’efficacité maximale, et ne pas céder au bon ratio.
Associations et appels à projets : le jeu risqué de la suradaptation
Selon Athina Marmorat, Fondatrice et Directrice de Rêv’elles, une association qui développe des programmes d’orientation à destination des jeunes femmes de milieux modestes, l’une des plus grandes difficultés pour les associations réside dans la réponse aux appels à projets, et le risque de s’éloigner de leur mission initiale en essayant de « faire rentrer des ronds dans des carrés ». Pour s’adapter aux critères du mécène, certains projets sont en effet totalement repensés, les équipes détournant ainsi leur vision initiale du projet et créant des tensions en interne.
La pratique du co-financement et les aléas liés
La pratique répandue du co-financement attendue dans les appels à projets met également en lumière le besoin de transparence et de communication comme nous le rappelle Stéphanie Bachelet, Déléguée Générale de la Fondation Transdev. Souvent, un manque de communication et de dialogue entre le mécène et le porteur de projets peut potentiellement créer un risque de défiance côté mécènes. Souvent craintives de se lancer dans le financement d’un projet si elles n’ont pas d’autres entreprises partenaires à leurs côtés, Laureen Sarfati, Chargée de mission pour la Fondation nehs complète et incite les entreprises à prendre le risque pour donner aux structures l’opportunité de se développer : « il faut un comité d’administration audacieux ! ».
Instaurer une relation de confiance pour lever ces freins
Riches de leurs expériences respectives, les intervenantes à la table-ronde ont partagé leur démarche et réflexions quant à l’accompagnement du développement de leur porteur de projets.
Renforcement de l’accompagnement des porteurs de projet et assouplissement des conditions des appels à projet
Forte du constat précédent, La Fondation Transdev, dont le champ d’action est la mobilité sociale, a décidé de faire évoluer ses pratiques. Depuis plusieurs années, elle s’est donnée de nouvelles cartes :
- allouer dès le départ 30% du financement aux frais de fonctionnement/RH du projet pour que le projet puisse avoir lieu ;
- développer un réseau de correspondants et parrains – collaborateurs de Transdev – en régions pour accompagner en proximité les porteurs de projets sur le terrain
- dédier du temps pour aider les porteurs de projet à présenter leur projet en vue d’un soutien par la Fondation Transdev.
Le constat est sans appel : grâce à cela, les projets présentés sont de meilleure qualité et la Fondation établit un vrai rapport de confiance avec la quarantaine d’associations soutenues par an.
Du côté de la Fondation nehs, engagée en faveur de la prévention et de la médiation santé, la pratique du pourcentage attribué aux frais de fonctionnement ne s’applique pas. Toutefois, « si l’intégration des frais de fonctionnement est justifiée par le porteur de projet dans sa réponse à l’appel à projets, alors ce n’est pas un frein pour le soutenir ». En plus de la dotation financière, la Fondation propose de manière facultative un accompagnement individualisé à l’évaluation d’impact social (de 6 mois à 1 an), par l’agence Phare, en vue de permettre aux porteurs de projet de prouver leurs impacts et ainsi attirer de nouveaux financeurs par la suite.
Intégrer les frais de fonctionnement dans les frais de projet, tel est le parti pris de l’association Rêv’elles. « Mesurer les frais de fonctionnement au prorata du temps passé sur un projet, c’est ce qui nous a paru comme la méthodologie la plus juste et la plus logique ». Athina Marmorat, explique plus précisément l’exemple du « temps femmes » (temps dédié par ses équipes) calculé pour chacun des projets, dédié à l’identification des bénéficiaires des actions de Rêv’elles.
Travailler la qualité de la relation partenariale
Au-delà du débat autour du financement de frais de fonctionnement, l’instauration d’une relation partenariale de qualité est au cœur du sujet. Pas de recette type, mais une formule basée sur la confiance : accompagnement à l’instruction, échanges réguliers, rencontres et remontées terrain, partage des supports de communication, ou encore capacité à exprimer ses doutes ou difficultés. Ce suivi personnalisé est rendu possible grâce aux équipes dédiées en interne, et traduit le principe de « Friendraising » évoqué par Athina Marmorat : « Que l’on soit dans la posture du mécène ou du porteur de projets, nous sommes embarqués dans la même aventure, pour répondre aux besoins des bénéficiaires. ».
De l’importance d’être pédagogique sur le modèle socio-économique de sa structure
Pour abonder ce propos, Mathilde Cuchet-Chosseler rappelle l’importance pour un porteur de projet de savoir présenter, notamment auprès de ses financeurs, son modèle socio-économique. Ce temps de décryptage permet en effet de constater que pour chaque organisation, il y a un modèle socio-économique bien différent : « Les structures associatives diffèrent quand bien même elles partagent une cause similaire ; il n’est donc pas possible de déterminer des ratios de frais de fonctionnement universels » rappelle-t-elle. Pour une relation équilibrée, elle conseille aux associations de préciser au sein de leurs conventions de mécénat le fléchage des dons, l’éventuel séquencement des versements de fonds et de spécifier si le mécène s’engage à prendre en charge les frais de fonctionnement de l’organisation.
Pour aller plus loin dans cette approche pédagogique, Le Don en Confiance a développé un outil, L’Essentiel qui offre aux associations la possibilité de communiquer efficacement sur les dons qu’elles reçoivent.
En conclusion…
En résumé, les maitres mots pour un partenariat mécène-porteur de projet réussi sont : confiance, collaboration, transparence et adaptabilité. Les intervenantes ont ensuite conclu cette matinée en partageant de nouvelles pistes d’exploration :
Le mode de soutien pluriannuel (3 ans en moyenne) connait une forte dynamique. Cette évolution est bénéfique pour l’ensemble des parties prenantes car elle assure :
- Une meilleure gestion des risques
- La possibilité pour les porteurs de projets d’avoir des emplois plus pérennes
- Une gestion financière plus diversifiée pour les associations
La création de collectifs, de mécènes ou de porteurs de projet (via la mise en consortium), pour maximiser leurs impacts et ainsi penser collectivement aux solutions qu’ils peuvent apporter sur le terrain. C’est le cas notamment du Comité des Fondations pour l’accueil et l’intégration de personnes exilées, lancé à l’initiative de la Fondation Sanofi Espoir et rassemblant une dizaine de mécènes, pour réfléchir ensemble à l’insertion des personnes migrantes et réfugiées. Une nouvelle voie qui pour autant questionne « la complémentarité attendue, le rôle de chacun, et les impacts collatéraux» alertent les différentes parties prenantes présentes à la table ronde.
Retrouvez le replay de la table-ronde en cliquant ici.
[1] 17ème baromètre « La France associative en mouvement » du réseau de chercheurs pluridisciplinaires « Recherche & Solidarités »
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