Déléguée générale de la Fondation du Groupe M6, Isabelle Verrecchia porte avec force et sincérité l’engagement de l’entreprise en faveur de la réinsertion sociale et professionnelle des personnes détenues ou ayant connu un épisode carcéral. Elle évoque pour mécénova son parcours, les 10 ans de la fondation et sa vision du mécénat d’entreprise.
Du droit à l’intérêt général, la fierté de construire un projet qui fait sens
« A l’origine, je voulais être juge pour enfant. ». C’est ainsi qu’Isabelle Verrecchia, actuelle Déléguée générale de la Fondation d’entreprise M6, évoque le début de son parcours. Mue par la volonté de protéger les plus jeunes des cas de maltraitance et des situations de délinquance, elle s’engage très tôt en tant que bénévole au sein de l’association Enfance & Partage, qui vient en aide aux enfants victimes de violences.
Avec cet objectif en tête, Isabelle effectue des études de droit et se prépare au concours de l’Ecole Nationale de la Magistrature. Ses envies évoluant, elle décide finalement de se spécialiser en droit de la propriété intellectuelle, un domaine qui l’attire car il permet notamment de travailler dans le secteur culturel. Diplômée, elle débute sa carrière professionnelle en tant que juriste dans diverses organisations : Gallimard, la Sacem, puis quatre ans au sein de sociétés de production cinématographique et audiovisuelle.
En 2005, elle saisit l’opportunité de rejoindre la Direction juridique du Groupe M6, s’occupant principalement de la négociation des contrats d’achat et de production des programmes des différentes chaînes du Groupe. « J’aimais ce métier. C’était enrichissant et j’adorais la négociation, trouver la démarche intellectuelle pour amener l’autre où on le souhaite ; je voyais cela comme un jeu » dit-elle. Malgré son intérêt pour cette fonction, la question du ʺsensʺ s’impose peu à peu. Isabelle reconnaît en effet que l’enthousiasme d’une bonne négociation passé, elle se posait la question « Comment puis-je être utile à mon entreprise ainsi qu’à la société ? »
En 2010, Nicolas de Tavernost, Président du Directoire du groupe M6, créé la Fondation d’entreprise M6, dédiée à la réinsertion des personnes détenues. Isabelle est tout de suite attirée par cette structure porteuse d’un projet original. « Je me suis rapidement intéressée à la fondation et à ses actions au service de l’intérêt général » explique-t-elle. Elle poursuit : « mon souhait de travailler auprès de la fondation était hyper instinctif ».
Il lui faudra attendre jusqu’en 2013 pour qu’une opportunité de rejoindre la fondation s’offre à elle. Isabelle confirme : « Pas une seule seconde je ne me suis posée la question de savoir si j’étais faite ou pas faite pour cela, capable ou pas d’intégrer cette structure, de tout redémarrer à 0… C’était la première fois de ma vie professionnelle que je ressentais ce sentiment d’être à la bonne place. »
En intégrant une fondation dédiée à la réinsertion sociale et professionnelle des personnes détenues, elle a dû se familiariser avec deux univers tout à fait nouveaux pour elle : celui de l’intérêt général et le monde carcéral. Une double découverte qui la satisfait pour plusieurs raisons : « Ce qui m’a plu à la fondation, c’était la possibilité de travailler en mode projet : avoir une idée, la mettre en forme, la suivre et voir son aboutissement. En même temps, travailler dans l’univers carcéral me permettait de garder un lien étroit avec la matière juridique. »
En 2015, elle prend la Direction de la fondation à la suite du départ de son prédécesseur et remet à plat la stratégie de la structure avec son conseil d’administration. C’est ainsi que naissent les deux missions principales de la fondation : lutter contre la récidive par un engagement de terrain et sensibiliser la société civile ainsi que les autres entreprises sur le rôle de la prison.
Une fondation spécialiste de l’univers carcéral
Depuis sa création, la Fondation M6 œuvre en faveur de la lutte contre la récidive et de la réinsertion sociale et professionnelle des personnes détenues ou ayant connu un épisode carcéral.
« Ce positionnement a été compliqué au début, car nous étions une fondation d’entreprise, issue d’un groupe de médias privés. Il a fallu montrer patte blanche et faire en sorte que l’écosystème comprenne pourquoi on voulait agir pour cette cause » révèle Isabelle Verrecchia. Original et encore peu connu, l’engagement du Groupe M6 sur cette thématique tient principalement à la conviction et au courage portés par son dirigeant, Nicolas de Tavernost. « Comme il aime à le répéter, une prison qui ne réinsère pas est préjudiciable à la société toute entière. C’est une conviction que je partage encore 10 ans après ! » affirme Isabelle.
En ayant fait le choix d’agir en faveur d’une cause particulière, peu soutenue par les entreprises de manière générale et décorrélée de l’activité de l’entreprise, la démarche de la Fondation M6 se veut au plus proche du terrain et de ses partenaires.
Lors de ses premières années d’existence, la Fondation M6 tente de lier son cœur de métier à ses actions en milieu carcéral. Elle proposait notamment aux détenus des ateliers de création audiovisuelle pour le canal vidéo interne des prisons ou des actions visant à maintenir les liens familiaux. « Au bout de quelques années, on s’est rendu compte que le maintien des liens familiaux n’était qu’un des piliers d’une réinsertion réussie. Il fallait également agir sur les autres leviers. On a donc réfléchi à une nouvelle stratégie » explique Isabelle. Les actions de la fondation se sont ainsi diversifiées, tout en se concentrant sur l’objectif principal de réinsertion des personnes détenues, en menant des actions dans et hors les murs.
La première mission de la fondation, celle de contribuer à la lutte contre la récidive par un engagement de terrain, est ainsi articulée autour de 3 axes complémentaires : l’emploi, la lutte contre l’illettrisme et l’accès aux savoirs de base ainsi que la culture. La fondation s’emploie ainsi à soutenir financièrement, et en compétences quand cela est nécessaire, des associations agissant sur le terrain au plus près des bénéficiaires. « L’axe ʺemploiʺ occupe une place prépondérante parmi ces actions, sûrement parce que nous sommes une entreprise et que cela nous touche d’autant plus », souligne Isabelle. Le groupe M6 est par ailleurs membre fondateur de l’association Sortir de Prison, Intégrer l’Entreprise (SPILE), qui regroupe plusieurs entreprises menant des actions concrètes de réinsertion professionnelle à destination des sortants de prison. « Notre engagement en faveur de cette cause est global. Il passe évidemment par la fondation, mais également par le Groupe, qui a à cœur de recruter des personnes issues du milieu carcéral » remarque Isabelle.
La deuxième mission de la Fondation M6, mise en place un an après l’arrivée d’Isabelle en tant que Déléguée générale, vise à sensibiliser l’opinion publique sur le rôle des prisons. « Nous sommes à la croisée de plusieurs chemins : une administration, le tissu associatif, le monde de l’entreprise et les personnes détenues. » déclare Isabelle. Souhaitant avoir un rôle de plaidoyer sur ce sujet, la fondation s’associe à l’Institut Montaigne en 2018 pour la publication d’un rapport dédié au travail en prison[1]. Plus récemment la fondation a également organisé des « soirées-débat » visant notamment à décloisonner la société civile et l’univers carcéral. Ce volet ʺplaidoyerʺ, le Groupe M6 le porte aussi en invitant ses collaborateurs à participer à des actions en prison. « La fondation a toujours donné l’opportunité aux collaborateurs de M6 de s’investir à ses côtés, leur mobilisation insuffle une énergie complémentaire à nos actions et chacun d’eux repart riche de cette expérience, c’est l’effet vertueux de l’engagement. » La fondation fait également appel aux compétences métiers des professionnels de M6 et RTL : techniciens du son et de l’image, animateur radio, journaliste, responsable éditorial etc. pour l’animation d’ateliers métier par exemple.
Au-delà du financement de projets d’intérêt général, la Fondation M6 opère également des projets en propre, dont le concours d’écriture « Au-delà des lignes ». Ce concours original et d’envergure nationale, propose chaque année aux détenus présents dans plus de 50 établissements pénitentiaires français d’écrire un texte sur une thématique donnée, les lauréats sont désignés par un jury de plus de 50 écrivains, journalistes qui viennent à leur rencontre en prison pour échanger sur la place des mots dans la vie de chacun. « L’objectif de ce concours est multiple : amener l’écriture plaisir, valoriser le travail des détenus et créer encore une fois du lien entre l’intérieur et l’extérieur. »
Une fonction « opératrice » qui fait désormais partie de l’ADN de la fondation, qui s’attache en effet à co-construire les projets avec ses partenaires en veillant à leur utilité pour les bénéficiaires. Un rôle qui n’est pourtant pas simple comme le souligne Isabelle Verrecchia : « Nous devons toujours jongler entre le rapport au temps différent entre le dedans et le dehors et les contraintes de l’univers carcéral : les comprendre tout en incitant l’administration à aller un peu au-delà de ses limites. »
Sa position unique dans le monde carcéral – elle est la seule fondation d’entreprise spécialisée sur cette cause – et l’expérience acquise pendant ses 10 ans d’existence, ont renforcé le rôle d’observatoire de la Fondation M6. Les associations et institutions viennent en effet chercher auprès d’elle des conseils et des bonnes pratiques à mettre en œuvre. Pour autant, Isabelle Verrecchia a souhaité, pour l’année des 10 ans, mener une démarche d’introspection sur ses actions et ses pratiques, qui livrera ses résultats au cours de l’année 2020. « Sans remettre en question la cause, nous voulons nous assurer que la vision de l’écosystème sur nous est la même et que nos méthodes sont efficientes » dit-elle.
Isabelle et son équipe ont également voulu faire de cet anniversaire une ʺannée-événementʺ, jalonnée de projets phares inédits dont le lancement d’un appel à projets dédié aux initiatives environnementales menées par des détenus en prison. Evidemment la crise sanitaire sans précédent et la fermeture des prisons ont mis en frein à ces projets.
Toutefois, Isabelle voit dans la période que nous venons de passer, l’occasion peut-être pour chacun de mieux appréhender les conséquences de la prison : l’éloignement avec les proches, la restriction à notre liberté d’aller et venir… « Il ne s’agit évidemment pas de comparer la situation de confinement aux conditions de détention des personnes détenues, mais chacun de nous a été touché par ces murs invisibles qui nous ont mis « à l’écart » pour quelques semaines ».
Expérimenter pour répondre aux défis sociétaux
Imaginer, construire, tenter, oser… Des mots qui guident l’action de la Fondation M6 depuis ses débuts, et qui, selon Isabelle Verrecchia, doivent aiguiller celles de ses pairs : « Les fondations ne doivent pas être limitées à leurs capacités financières. Elles ont aussi un rôle à jouer dans l’expérimentation de projets, seul moyen de découvrir de nouvelles voies pour résoudre les défis actuels… ».
Isabelle revient par ailleurs sur le statut de fondation d’entreprise, qui fait le lien entre le monde de l’entreprise et la philanthropie, chaque univers doit apprivoiser les pratiques de l’autre. Elle explique : « La culture de fondation d’entreprise est intéressante car elle m’impose ces notions d’efficacité, d’évaluation, de résultats… Une culture à laquelle j’essaie aussi de sensibiliser nos partenaires. »
Bien que la Fondation M6 adresse une cause totalement détachée de son cœur de métier, Isabelle tient à ce que la démarche de mécénat de l’entreprise ne soit pas l’apanage de la seule fondation, mais qu’elle s’appuie également sur les compétences des collaborateurs du Groupe. Elle conclue : « La réussite ultime : c’est quand on dépasse les frontières de la fondation et que chacun partage les valeurs et le sens de nos actions. ». Le message est passé !
[1] Travail en prison : préparer (vraiment) l’après, Rapport de l’Institut Montaigne et de la Fondation M6, 2018.
Propos recueillis par Oriane Hostin
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