Début décembre, nous évoquions dans ce dossier les nouvelles formes d’investissements sociaux des grandes entreprises. Ces dernières s’ouvrent à l’ESS via une palette d’outils qui s’élargit. D’une logique de mécénat, elles s’orientent vers une logique d’investissement cumulant impact social et ROI financier.
Par Steven Bertal (Génération2) pour mécénova by Les entreprises pour la Cité
Ce type de soutien incite ces grands groupes à saisir l’opportunité de pratiquer l’« open innovation sociale », avec comme partenaires stratégiques les start-up sociales innovantes (SSI). Véritable changement de paradigme, cette démarche présente une variété de modèles aussi bien inspirants que réplicables.
Qu’est-ce qu’une « Start-up Sociale Innovante » (SSI) ?
Sans définition ferme, la notion de start-up répond surtout à des caractéristiques : un modèle économique qui permet un changement d’échelle rapide, souvent attribué à une capacité d’innover (procédure, technologie, usage). Pour certains, la start-up est aussi un état d’esprit proactif, ou une capacité à fédérer une communauté.
Une start-up est considérée comme “sociale innovante” (SSI) lorsqu’elle vise la croissance de son impact social plutôt qu’économique, via la combinaison d’une innovation sociale et d’un modèle économique pérenne. Ce qui lui permet de s’affranchir d’un système lucratif et de s’ouvrir à l’hybridation (entreprise, association, fonds).
Une collaboration vertueuse entre grandes entreprises et SSI
Les collaborations entre SSI et grandes entreprises se consolident grâce à un échange vertueux favorisant l’ouverture, l’inspiration, et nourrissant la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Comme évoqué dans une récente parution de la Harvard Business Review Fr, les valeurs éthiques et humaines constituent des piliers de l’engagement, qui font des entrepreneurs sociaux des innovateurs hors pairs.
« L’expérience empirique, notamment dans la Silicon Valley, montre que ceux qui veulent sauver le monde vont beaucoup plus loin en termes d’innovation radicale, disruptive. Le sens est un moteur efficace pour se dépasser (attractivité & engagement). Travailler avec eux élargit la vision de Société Générale et la fait grandir. »
Aymeril Hoang, Directeur de l’Innovation de Société Générale
Ainsi, en inscrivant la recherche de sens dans leurs stratégies globales, les grandes entreprises deviennent non seulement plus attractives, mais répondent aussi mieux aux attentes de leurs parties prenantes. En effet, de telles collaborations sont parfois intrinsèques aux usagers (publics précaires notamment) ou à la nature de certaines activités (mutuelles, assurances, délégation de services public) qui peuvent ainsi être améliorées. D’après Aymeril Hoang, intégrer tous les publics en amont de la démarche de design thinking permet d’innover de façon plus complexe, et d’améliorer la qualité globale des services.
Des méthodes de collaboration variées
Méthode de plus en plus pratiquée, l’open innovation sociale apparaît comme une solution pour pallier l’inertie des grandes entreprises. Il s’agit de détecter des SSI qui leur apportent une valeur ajoutée, et d’élaborer un dispositif qui accélère leur développement à chaque stade (idée, prototypage, amorçage, changement d’échelle) : création d’un écosystème, accompagnement, co-développement et financement.
Un écosystème est ici tout espace physique ou virtuel qui favorise le processus de créativité et de collaboration à travers des échanges entre acteurs, institutions académiques, grandes entreprises et entrepreneurs sociaux. Citons Ecowork, cycle d’événements et ateliers qui favorise les rencontre autour de la ville durable, ou Le Plateau, lieu d’innovation accueillant plusieurs SSI avec le soutien notamment de MakeSense et OuiShare.
« Pour travailler dans la durée, il est primordial de d’abord se découvrir mutuellement, en commençant par une collaboration légère puis en concrétisant une collaboration de plus en plus intégrée. »
Coralie Gaudoux, Directrice Associée du SenseCube
De nombreux espaces de coworking et incubateurs indépendants voient aussi le jour, intégrant à leurs dispositifs des programmes de collaboration avec les grandes entreprises : SenseCube, Antropia (ESSEC), Social Factory (la Ruche), ou encore le Liberté living Lab, lieu de collaboration entre l’innovation tech, sociale, et les Civic tech. Aux côtés des SSI, des entreprises y installent leurs programmes d’intrapreneuriat ou d’innovation.
Les grandes entreprises proposent aussi des accompagnements dès la phase d’idéation pour favoriser l’émergence d’innovations sociales. C’est ainsi que La Banque Postale, KissKissBankBank (racheté par le groupe) et MakeSense ont mis en place la Social Cup, concours de projets destiné aux jeunes. Une fois la start-up lancée, la grande entreprise peut ouvrir sa base de données, allouer des ressources en nature, ou du temps salarié (mentorat, conseil, poste dans la gouvernance).
« Le Plateau accueille des start-ups, qui vivent 6 mois en communauté, partager ce qui est fait en transparence, bienveillance, confiance, entraide, pour comprendre les enjeux de chacun, et co-construire ensemble. »
Flore Jachimowicz, Directrice Associée à l’Innovation Société Générale et Responsable du Plateau
Des échanges de ressources au cœur des collaborations
La collaboration peut se traduire en partenariat commercial, la SSI devenant prestataire de l’entreprise. Une aubaine pour la SSI qui peut pérenniser son modèle économique en se développant par le ‘bas de bilan’, mais risqué en raison de l’inertie des grandes entreprises. Ce type de collaboration est pertinent quand l’offre de la SSI correspond aux besoins du partenaire, comme la revalorisation des déchets proposée par Love Your Waste.
Il est possible d’approfondir un tel partenariat quand la grande entreprise intègre la SSI à une réponse d’appel d’offre, ou à ses produits et services. La Maif, souhaitant proposer plus de services collaboratifs à ses sociétaires, intègre ainsi Les Talents D’Alphonse pour favoriser le lien intergénérationnel via l’apprentissage. Pour aller plus loin, l’expertise et les ressources de la grande entreprise peuvent être combinées à l’expertise de la SSI sous forme d’innovations conjointes, voire jusqu’à la création d’une structure dédiée, comme une joint-venture sociale.
Enfin, une grande entreprise peut aussi financer une SSI à travers de l’investissement, un contrat à impact social, des participations, voire du mécénat. Simplon, via son modèle hybride (entreprise & fondation) peut recevoir des dons, ouvrir son capital, et générer du chiffre d’affaires. Cependant la prise de participation va de pair avec une intégration de l’entreprise à la gouvernance. En Europe, les fonds d’investissement sont principalement industriels, et ont souvent l’ambition de racheter à termes les start-up dans lesquelles ils investissent. BNP Paribas a par exemple racheté Compte Nickel pour 95% des parts à 200 millions d’euros début 2017, permettant au groupe d’acquérir une offre BOP (bas de la pyramide). Pour éviter une ingérence trop importante, Investir & + insiste sur l’importance pour les SSI de rester majoritaire au capital.
« Les dirigeants doivent rester majoritaires au décollage, nous investissons donc en tant qu’actionnaire minoritaire référent à hauteur de 30%, avec un soutien non financier que nous considérons essentiel. »
Vincent Fauvet, Président Exécutif Investir & +
De bonnes pratiques pour une collaboration pérenne
Pour une collaboration vertueuse, il est important d’identifier le besoin et les partenaires cohérents pour le projet à développer, facilitée par un fort ancrage territorial, et des prescripteurs : incubateurs, académies, et fonds à impact. Il est ensuite important de nourrir la collaboration pour la faire durer, et d’assurer à l’innovation sociale un changement d’échelle / essaimage. Il s’agit d’apprendre à se connaître, collaborer en transversal, préserver l’agilité de la SSI, et d’évaluer l’impact de la collaboration pour sensibiliser les décideurs de l’entreprise.
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