La 72ème Assemblée générale de l’ONU s’est réunie du 12 au 25 septembre à New York, deux ans après l’adoption des 17 Objectifs du développement durable (ODD) qu’elle avait fixés en 2015. En marge du sommet, la Global Goals Week (16-23 septembre) a organisé une série d’événements de réflexion ouverts aux mécènes et représentants de la société civile. L’occasion de faire le point sur les avancées des ODD, le rôle de la philanthropie dans leur réalisation et leur appropriation par les mécènes – entreprises ou individuels.
ODD et philanthropie : histoire et mode d’emploi
Les 17 Objectifs du développement durable (ODD) de l’ONU ont été validés en septembre 2015 par 193 Etats, fixant ainsi des orientations globales aux organisations pour répondre aux grands enjeux de la planète d’ici 2030 : réduction des inégalités de toute nature, accès à la santé, à une éducation et formation continue de qualité, environnement, ville durable… Ces enjeux mondiaux ont fait l’objet d’une grande consultation multi-parties prenantes qui a abouti à un cadre d’action et à des indicateurs co-construits et partagés par les citoyens, les pays, les organisations non gouvernementales et intergouvernementales ainsi que les entreprises.
Charles-Benoît Heidsieck, Président fondateur du RAMEAU, le soulignait en juin dernier lors des Inattendus d’ABNL : « de manière inédite dans l’histoire, les ODD offrent à tous une vision systémique et inclusive des priorités d’engagement et d’investissement pour le Bien Commun”. Reliés entre eux et présentés de manière pédagogique – un pictogramme, un diagnostic, des cibles, des indicateurs de réussite – ils permettent mobiliser largement, et de coordonner les différents acteurs de la société autour de projets communs.
L’Objectif 17 insiste d’ailleurs sur la nécessité d’un Partenariat Mondial pour la réalisation des ambitions fixées : la mobilisation et la collaboration de toutes les ressources disponibles (autorités locales et nationales, société civile, secteur privé, système des Nations Unies etc.). Et cette mobilisation collective serait même bénéfique pour les affaires ! Selon le rapport Better Business Better World, la réalisation des Objectifs mondiaux pourrait ouvrir des opportunités de marché estimées à 12 milliards de dollars dans quatre secteurs : alimentation et agriculture, villes, énergie et matériaux, santé et bien-être. Ces activités, essentielles à la réalisation des ODD, représentent environ 60% de l’économie réelle.
Une problématique : la Convergence (ODD 17 : Partenariat Mondial)
C’était le sujet abordé par un panel de haut niveau au Forum Mondial Convergences début septembre[1]. Face à la baisse des budgets des Etats, les attentes qui reposent sur les mécènes sont fortes. Leurs ressources sont souvent considérées comme étant sans limites et les gouvernements les voient parfois comme des relais pour combler le financement nécessaire à la concrétisation des ODD. Or les budgets des fondations, pour leur grande majorité, ne dépassent pas les quelques millions et visent à financer le changement d’échelle de petites initiatives, qu’elles peuvent accompagner et observer, plutôt qu’à apporter une goutte d’eau à des programmes ambitieux. De plus, comme le soulignait Olaf Hahn, Vice-Président de la Fondation Robert Bosch, au Forum Convergences : « la philanthropie, en tant que telle, est une initiative authentiquement indépendante qui s’appuie beaucoup plus sur les agendas individuels que sur des politiques publiques ou les orientations de la communauté internationale ».
Il n’en reste pas moins que la considérable force de mobilisation et l’indépendance des mécènes en font des acteurs capables d’accélérer la réalisation de bon nombre d’ODD, d’autant plus lorsqu’ils unissent leurs efforts. Ainsi, l’OCDE a lancé un Réseau de Fondations travaillant pour le développement de l’OCDE (netFWD) et la European Venture Philanthropy Association qui commencent à proposer des outils[2]. Aux USA, les rapports[3] et initiatives pour faire converger les philanthropes vers les ODD se multiplient : la UN Foundation ; le Council on Fondations, et le Foundation Center guident ainsi leurs actions pour favoriser les synergies et créer des cadres de référence et des indicateurs partagés. Si de plus en plus de coalitions émergent, visant à co-construire des projets et en assurer la mise en œuvre commune, tout en mutualisant les ressources, en alignant les priorités et activités respectives sur les ODD, le phénomène devra encore faire son chemin.
Mesurer les progrès et les efforts collectifs
Une question centrale : les ODD peuvent-ils permettre de mesurer l’effort philanthropique pour pouvoir mieux diriger les ressources ? Encore faudrait-il disposer de chiffres pour établir un état des lieux à date. C’est l’ambition de la première enquête de l’OCDE sur la philanthropie privée qui chiffre à 23,4 milliards de dollars en 2013-15 (soit 7,6 milliards par an en moyenne), l’effort de la générosité privée pour le développement[4]. En France, elle est évaluée à environ 600 à 800 millions d’euros[5]. Ces chiffres sont modestes si on les rapporte aux 54 milliards d’euros dépensés par les Fondations européennes, et aux 71 milliards de dollars dépensés par les Fondations Américaines.
Le rôle de la collecte et de l’analyse de données ainsi que du partage d’indicateurs fiables est aussi crucial pour pouvoir coordonner les efforts et mesurer les résultats. Les premières plateformes de partage des données commencent à se créer : celle de l’ONU pour les partenariats (ODD17), ou encore SDG Funders (ex SDG philanthropy platform), une initiative de 10 grandes Fondations américaines, permet de suivre les résultats et les besoins restant à couvrir. Mais sans surprise, c’est la Fondation Bill & Melinda Gates qui prend la tête du mouvement de data analyse et avec #GoalKeepers17, son premier rapport disponible au grand public et résumé ici en vidéo. La Fondation s’engage à analyser et partager, partout où elle est présente, les données disponibles pour évaluer les bonnes pratiques et les freins dans l’atteinte des ODD.
Que s’est-il passé à New-York ?
À New York, en marge de la Global Goals week se sont succédé une vingtaine d’événements[6], dont un nombre inédit organisées par de grandes initiatives philanthropiques privées. Par exemple, le Global Business Forum de Bloomberg Philanthropies a réuni le 20 septembre des décideurs politiques et économiques de tous les continents, de Bill Clinton à Aliko Dangote (plus grand philanthrope africain) en passant par Jack Ma (PDG du géant numérique chinois Ali Baba), ou encore Justin Trudeau (premier ministre canadien) et Emmanuel Macron. L’objectif ? Montrer au monde que les puissances politiques et économiques sont alignées pour atteindre les ODD.
Dans la même mouvance, le Bill and Melinda Gates Foundation Goalkeepers (19-20 septembre) a lancé un mouvement de mesure des progrès réalisés dans l’élimination de la maladie et de la pauvreté à travers le monde, avec la vocation de motiver une nouvelle génération. Rassemblant les plus grands activistes internationaux et têtes de file de la philanthropie mondiale, il a notamment donné une tribune à Barack Obama et sa nouvelle Fondation.
« Pour Bloomberg et d’autres, ces convocations rassemblent des groupes divers pour élaborer des stratégies sur la façon de traiter collectivement les problèmes globaux complexes en tirant parti des ressources et de l’expertise dans tous les secteurs », expliquait Vicki Spruill, président et chef de la direction du Council on Foundations à Devex.
Démocratiser les ODD, exiger la performance et passer à l’action
Considérant la faible couverture médiatique en France de cette semaine dédiée aux ODD, force est de constater que les grands mécènes, s’ils ont bien saisi leur potentiel de communication, sont encore trop souvent dans l’entre soi. Les ODD sont-ils condamnés à rester le sujet d’une conversation élitiste et hermétique au grand public ?
Pour une meilleure appropriation, sans doute faudra-t-il développer davantage de pédagogie avec l’aide des médias et des intermédiaires et construire un discours philanthropique européen autour de ces enjeux. Un constat partagé par les professionnels du secteur : « Du côté des philanthropes individuels, à l’exception des grands philanthropes mondialement renommés comme Bill & Melinda Gates, les ODD ne sont encore que très rarement connus et connectés à l’action de don », remarquait Claire Douchy, responsable des offres philanthropiques de la Société Générale Private Banking lors du Forum Mondial Convergences. « Les philanthropes les plus avancés dans la prise de conscience de financement des ODD sont davantage les entrepreneurs et les entreprises sensibilisés aux sujets de développement durable. Mon rôle au quotidien est d’informer les philanthropes individuels de l’utilité des ODD pour accroître la performance de leurs actions ».
Que conclure ? L’appropriation des ODD par les mécènes, quels qu’ils soient, doit se faire de manière urgente pour passer à l’action de manière coordonnée. Le mot de la fin revient à Aaron Sherinian, qui a lancé le mouvement en tant que responsable de la communication de la UN Foundation entre 2015 et 2017 : « la philanthropie n’est pas un privilège réservé aux très riches, aujourd’hui tout le monde peut être philanthrope. Mais donner ne suffit plus : il faut des résultats, des solutions, des personnes engagées. Les 17 ODD ont été pensés de manière simple et pédagogique pour accélérer les efforts (…). Il est l’heure de se mettre au travail. Pour mieux convaincre, nous, acteurs du Bien commun, devons être plus opérationnels, plus vigilants sur l’utilité finale des dons et des investissements ».
[1] Conférences Philanthropie et financement des ODD – Quelles innovations et partenaires pour un impact à échelle ? du 5 septembre 2017 en partenariat avec OCDE Dev et Génération 2 conseil, avec l’intervention de Claire DOUCHY, Responsable des offres philanthropiques et investissements socialement responsables, Société Générale, Olaf HAHN, VIce-Président de Robert Bosh Schiftung, Tonika HIRDMAN, Directrice générale, Fondation de Luxembourg ; Bathylle MISSIKA, Conseillère principale du Directeur et Chef de l’unité des partenariats et réseaux du Centre de Développement de l’OCDE et Aaron SHERINIAN, Directeur communication, Aga Khan Foundation
[2] Webinar de la EVPA : www.evpa.eu.com/pages/eu-webinar-10-the-sustainable-development-goals-vp-si
[3] FROM GLOBAL GOALS TO LOCAL IMPACT: How Philanthropy Can Help Achieve the U.N. Sustainable Development Goals in the U.S. : Concil on Foundation, www.cof.org/sites/default/files/documents/files/Global-Goals-Local-Impact-SDGs-and-Philanthropy-2016.pdf
[4] Ces chiffres, proviennent de plus de 100 fondations privées, notamment des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Suisse et autres pays européens, mais aussi d’autres pays comme l’Inde, le Brésil et le Mexique
[5] Selon un rapport de l’Inspection générale des finances daté de 2010.
[6] Cérémonie de remise des prix Hult; Social Good Summit (17 septembre); SDG Media Zone (18-22 septembre); Summit Solutions (19-21 septembre); Forum du secteur privé des Nations Unies (18 septembre); Global Citizen LIVE! (18 septembre); Cérémonie d’ouverture de la Semaine du climat (18 septembre); Sommet annuel de Concordia (18-19 septembre); Forum économique mondial Sommet sur l’impact sur le développement durable (18-19 septembre); Conférence internationale sur le développement durable (18-19 septembre); Global Citizen Movement Makers (19 septembre); Dîner de récompenses des objectifs mondiaux (19 septembre); Bill and Melinda Gates Foundation Goalkeepers (19-20 septembre); TED Global NYC (20 septembre); Sommet des dirigeants du Pacte mondial des Nations Unies (21 septembre); Nous l’avenir (21 septembre); et Global Citizen Festival (23 septembre).
Par Jeanne Brétécher (Génération2) pour mécénova by Les entreprises pour la Cité
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