Les 24 et 25 novembre 2020 se déroulait la cinquième édition du Mécènes Forum, organisée par Admical et ses partenaires. Dans le contexte actuel de crise sanitaire, l’évènement a eu lieu en format digital autour du thème « le mécénat au défi de la crise ». Retour sur la première journée de ce temps fort annuel, qui a réuni institutionnels, experts du secteur et acteurs de terrain.
La première journée du Mécènes Forum 2020 a été introduite par les mots de Marc Fontecave, professeur au Collège de France, et de Sylvaine Parriaux, Déléguée Générale d’Admical. Cette dernière a introduit la question centrale de cette édition 2020 : « En quoi la crise constitue un défi pour les acteurs du bien commun ? ». Elle est par ailleurs revenue sur les missions d’Admical dans ce contexte : faire savoir à grande échelle que le secteur du bien commun est capable de construire le monde de demain ; mettre en lumière le mécénat sur tout le territoire national ; rendre plus accessible et plus riche l’offre de professionnalisation des mécènes et enfin, permettre un dialogue efficace avec les pouvoir publics avec la construction d’un réel plaidoyer.
Une matinée dédiée au positionnement du mécénat face aux défis sociétaux inhérents à la crise
Animée par Wendy Bouchard, la matinée a été consacrée à un focus croisé relatif aux crises et au mécénat, dans le but donner aux participants des clés de compréhension des enjeux de la période en cours. En clair, si la philanthropie est en mesure de se saisir des problématiques sociétales imposées par la crise, elle ne peut pas les surmonter seule.
Les deux premières keynotes, respectivement intitulées « Les crises et leurs analyses » et « Comment la crise peut-elle nous aider à construire le monde d’après ? », ont contribué à analyser le contexte de crise pour en définir les enjeux. En animant le premier, Pierre-Michel Menger, sociologue du travail et professeur au Collège de France, a mis en lumière la place utile du mécénat dans la société, dont l’efficacité dépend toutefois de l’implication de l’Etat et la société civile. Lors de la seconde keynote, le philosophe Dominique Bourg est revenu sur le principal enseignement selon lui de la pandémie en cours : le monde changeant très vite biologiquement et physiologiquement, l’objectif commun des sociétés est d’agir en faveur de la transition écologique ; le secteur du bien commun doit donc réfléchir à sa nouvelle place selon ce prisme.
Les deux tables rondes de la matinée ont elles, permis de rendre compte de l’« utilité du mécénat face aux crises » et de sa capacité à être « un levier de transformation vers un nouveau modèle de société ». Des acteurs aux formations et fonctions diverses mais complémentaires ont ainsi pu réfléchir ensemble aux ressources inhérentes au secteur de l’intérêt général. La première table ronde a vu débattre Philippe Sansonetti -professeur au Collège de France-, Axelle Davezac -DG de la Fondation de France, Christine Laconde -DG du Samu Social et Denis Duverne -DG du groupe AXA. En sont ressortis les constats suivants : le mécénat est utile en période de crise en ce qu’il complète l’action des pouvoirs publics du fait de de sa rapidité d’intervention, de sa capacité à financer, innover, mobiliser dans l’urgence l’ensemble des parties prenantes.
Ont interagi lors de la seconde table ronde Ariane de Rothschild -Présidente du Groupe Edmond de Rothschild, Jean Lemierre -Président de BNP Paribas et Nicolas Chabanne, Fondateur de C’est qui le patron ?. Leurs échanges ont permis de compléter les constats précédents, en projetant l’intérêt du mécénat dans le futur. Sa proximité avec les citoyens et son aptitude à donner une résonnance globale à des fractures locales, son penchant pour la prise de risques, le fait qu’il fédère une pluralité de convictions et de compétences via les alliances possibles en son sein : autant d’arguments montrant que le mécénat peut faire émerger de nouveaux sujets et optimiser l’intervention pour ceux déjà traités.
Ce constat a pu être remis en perspective par Bathylle Missika -Responsable réseau et partenariats de l’OCDE-, qui après avoir dressé une vision d’ensemble de la philanthropie mondiale, en a rappelé ses limites. Elle a établi trois souhaits pour guider les philanthropes du monde d’après : être capable d’innover sans se précipiter ; être davantage à l’écoute d’un nombre plus restreint de partenaires, en développant notamment des financements non fléchés à long terme et partager, dans la transparence et la confiance, pour une meilleure orientation des actions des mécènes.
En conclusion de la matinée, le Président d’Admical François Debiesse a souligné une nouvelle fois la nécessité de l’intervention publique pour encourager l’implication de chacun. La crise sanitaire succédant à une crise de la démocratie en 2019, l’Etat doit plus que jamais « refaire Nation ». Il a énoncé succinctement ce qu’il attendait de la puissance publique : l’élaboration d’un discours positif reposant sur une définition de l’intérêt général actualisée aux enjeux d’aujourd’hui ; la création d’une instance dédiée à la philanthropie ; la stabilisation du cadre juridique et fiscal ; l’évaluation du mécénat en terme économique et social ainsi que l’intégration des territoires dans cette politique. Wendy Bouchard a finalement ajouté que la place des médias dans la diffusion d’un message mobilisateur et engagé est conséquente, mais aujourd’hui très lacunaire.
Une après-midi autour de la co-construction, marquée par l’optimisme des participants
La crise sanitaire et ses conséquences, qu’elles soient déjà visibles ou se devinant à plus long terme, doivent alarmer sur la nécessité pour le secteur de l’intérêt général de se repositionner. Toutefois, les acteurs de l’ESS, entreprises mécènes, fondations et associations, ont montré qu’ils étaient prêts à relever les défis en cours et à venir, avec pour leitmotiv « innovation et collectif ».
L’après-midi du 24 novembre 2020 a été inaugurée par une table ronde animée par Marianne Eshet, DG de la Fondation SNCF, sur le thème : « Pour un mécénat territorial efficace : quelle synergie entre stratégie globale et actions locales ? ». Tout d’abord, Frank Lacroix, Directeur général adjoint Territoires du groupe SNCF et Président de la Fondation, a montré que l’intégration des territoires était au cœur des préoccupations de la SCNF, avec la création de postes de coordinateurs régionaux qui permettent notamment le déploiement d’une stratégie efficace basée sur une logique de diagnostic territorial. La Fondation SNCF a par ailleurs présenté deux relations partenariales, respectivement dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes (ARA) et Hauts-de-France (HDF) avec d’un côté, l’échange entre la Correspondante ARA SNCF Marie-Anne Maire & Cédriane Moreau, Directrice Régionale ARA Enactus France ; et de l’autre, celui entre Stéphanie Baudry, Manager Engagement Sociétal SNCF présente dans les HDF & Raphaël Delaby, Chargé de mécénat en HDF pour le Réseau E2C. Ces deux relations partenariales illustrent une co-construction basée sur la mutualisation des connaissances de différents écosystèmes, où chacun trouve l’opportunité de pouvoir monter en compétence : la Fondation peut ainsi mieux coordonner ses actions au sein et entre les territoires, impliquer davantage les collaborateurs au niveau national, ainsi qu’avoir un impact social à plus long terme ; pendant que les associations voient leurs projets se pérenniser.
Second focus sur les relations partenariales avec l’atelier suivant, s’intitulant « En quoi la crise a-t-elle modifié l’accompagnement des partenaires associatifs et renforcé les besoins extra-financiers ? ». Benoît Gajdos, DG CO-Conseil, a tout d’abord donné la parole à Charles-Benoît Heidseck, Président et Fondateur Le Rameau, qui a dévoilé les résultats de la dernière étude du think-tank : des avancées concernant les 7 leviers de déploiement de la co-construction -action, cadre juridique, capacité d’investissement, articulation des ingénieries, compétences, outils, données- ont vu le jour en 2020 et constituent des signaux très positifs à une accélération du « jouer collectif » en France. À cette occasion, les auditeurs ont pu partager via Zoom leurs questionnements relatifs à la co-construction ; parmi lesquels la confiance ou encore l’équilibre dans l’investissement.
À travers la présentation de son nouveau programme d’accompagnement dédié à ses partenaires, Total Foundation a reflété la réactivité des financeurs en ces temps de crise, n’ayant pas manqué d’élaborer des plans anti-crise ou d’accélérer le déploiement de plans préexistants. L’intervention menée par Yohana Pigla, en sa qualité de Responsable Innovations Sociales de la Fondation, a mis en relief les enjeux rencontrés par les associations pendant la crise, notamment leurs besoins d’accompagnement de long terme. Les 3 piliers du programme « Rebond », ont ainsi été présentés : la structuration des parcours d’accompagnement tout au long de la vie des projets, la création d’une communauté de partenaires associatifs pour favoriser le partage de connaissances et l’accroissement de la synergie avec d’autres financeurs. Marie Bellocq, DG Shareit, structure qui accompagne gratuitement les entrepreneurs sociaux dans la réalisation de projets digitaux, est venue compléter l’intervention de Yohana Pigla en affirmant que le digital est un levier clé du développement des associations ; mais qui demeure encore trop peu accessible en raison de certaines barrières, telles que la technicité du langage ou encore la diversité des acteurs.
Enfin, le dernier temps d’échange de la journée du 24 novembre, animé par Agathe Leblais, DG Pro Bono Lab, a permis discuter de « l’impact de la crise sur les pratiques d’engagement des collaborateurs », cette dernière ayant été un catalyseur de la mobilisation et de l’innovation. Dans un premier temps, la crise a suscité des élans d’engagement chez collaborateurs, pris entre la solitude du confinement et la volonté d’être solidaire face à la Covid-19. Un constat partagé par Isabelle Fieux, DG Adjointe de L’Entreprise des Possibles, basée à Lyon, qui a été l’écho des entreprises tout au long de la crise sanitaire. Le témoignage de Patrick Lepagneul, Directeur Général de la même entreprise, a confirmé cette idée : ex-DRH de BioMérieux, il a décidé de quitter son poste à la suite du premier confinement pour rejoindre l’Entreprise des Possibles, soucieux de mettre ses compétences au service de la cause sociétale majeure qu’est l’aide aux sans-abris.
Cette table ronde a aussi mis en lumière l’adaptation rapide des mécènes à l’urgence. Isabelle Delaplace, DG de la Fondation FDJ, a démontré comment le groupe a innové dans les formes d’engagement des collaborateurs, en 100% distanciel, avec la mise en place de l’appel à projets « 1 000 euros pour ma petite asso » qui permettait aux collaborateurs de voter pour choisir des projets à soutenir chaque semaine ; avec la tenue de coaching et mentorat à distance dans les collèges et lycées ou encore la transmission de congés aux soignants. Enfin, est à retenir de cette dernière session du jour la continuité de l’engagement post-confinement : les intervenants se sont accordés pour dire qu’ils assistaient à une véritable co-construction entre entreprises et associations, en observant des investissements prenant en charge les frais de structure ; et la valorisation du mécénat de compétence qui assure l’accompagnement à long terme et l’implication des collaborateurs. Une statistique apportée par Agathe Leblais en conclusion est particulièrement éclairante : selon Pro Bono Lab, 2/3 des collaborateurs qui s’étaient engagés en mécénat de compétence pendant le confinement souhaitent continuer.
Le Mécènes Forum s’est poursuivi le lendemain avec notamment la présence de Franck Courchamp, Directeur de recherche au CNRS, ou encore Jean-Jacques Goron, Président de la Fondation BNP Paribas ; pour aborder des thèmes tels que les stratégies de financement, les critères ESG et le changement climatique.
Comments are closed.