« Je crois en un mécénat volontariste : passer de la bienveillance passive à l’engagement. »
Ancienne déléguée générale d’Admical, Marianne Eshet dirige depuis 2009 la Fondation SNCF, engagée pour le “Mieux Vivre Ensemble”. Depuis près de huit ans, elle pilote et met en œuvre une stratégie basée sur l’ancrage territorial, l’engagement des collaborateurs et la co-construction avec les différents acteurs de l’intérêt général, afin de soutenir trois domaines prioritaires : l’Éducation pour prendre sa place dans la société, la Culture pour s’ouvrir sur le monde, et la Solidarité pour bien vivre avec les autres.
De la bienveillance à l’engagement
Marianne Eshet a le mécénat chevillé au corps. Celle pour qui l’engagement commence par une attention aux autres, revendique cette fibre, qui fait partie d’elle depuis toujours. Elle rejoint le monde associatif dès l’âge de 13 ans, en accompagnant des enfants hospitalisés dans leur apprentissage scolaire. Depuis, elle ne cessera d’être bénévole, au sein ou en parallèle du tissu associatif : « L’important est de contribuer, chacun à sa manière » dit-elle.
Entrée dans la vie active, Marianne Eshet travaille notamment en agence de communication, où elle gère quelques des budgets de mécénat. Une expérience de volontaire se révélera déterminante pour la suite de sa carrière : un an durant, au sein d’un institut de formation, elle donne des cours de culture générale à des jeunes très éloignés des apprentissages. « Souvent rejetés de leurs familles, ils avaient pour la plupart quitté l’école avant l’âge légal et se retrouvaient à 20 ans avec un niveau 5e », explique-t-elle. Dans les quartiers HLM d’Argenteuil, elle noue des relations fortes avec ces jeunes adultes aux parcours difficiles, à qui elle tente de donner des bases en utilisant la presse écrite comme support de travail privilégié. « À ce moment là, j’ai mesuré la grande précarité et l’extrême isolement de ces jeunes, qui malgré des situations particulièrement difficiles, ne demandaient finalement que de l’attention et de la considération. Il faut toucher du doigt cette réalité pour la comprendre vraiment et se rendre utile. »
Nouveau tournant professionnel en 2002, lorsqu’il lui est proposé de prendre la direction d’Admical. « C’était pour moi le plus beau poste auquel accéder pour concrétiser mes convictions personnelles. Ce fut une grande chance de travailler sous la présidence de Jacques Rigaud, un homme visionnaire qui a tant fait pour le mécénat », raconte Marianne Eshet. À cette période, le réseau contribuera de manière déterminante à la naissance de la loi Aillagon. Dès lors, le mécénat d’entreprise acquiert ses lettres de noblesses et l’État n’a plus le monopole de l’intérêt général même s’il en reste le garant. « Ce fut une période très faste pour le mécénat, qui s’est progressivement ouvert à de nouvelles problématiques sociétales et aux diverses formes d’engagement » raconte-t-elle.
En 2009, après sept années qu’elle décrit comme « exaltantes » à la tête d’Admical, Marianne Eshet prend la direction de la Fondation SNCF, à la demande de son président, Guillaume Pepy. « Je ne pouvais passer à côté de l’opportunité de mettre en pratique ce que j’avais prôné et défendu au sein d’Admical, et de pratiquer un mécénat de terrain au sein d’une entreprise publique dont les valeurs me correspondent pleinement ».
La Fondation SNCF : mieux vivre ensemble
Créée en 1995 sous égide de la Fondation de France, la Fondation SNCF a construit l’essentiel de son action autour de l’engagement de ses salariés, à l’heure où, comme le souligne Marianne Eshet, la plupart des fondations d’entreprises n’impliquaient pas encore leurs collaborateurs. Prenant racine dans l’ADN particulier d’une entreprise de service public, sa vocation était de donner un « coup de pouce » aux associations soutenues par les salariés engagés bénévolement. « La dynamique de solidarité existe depuis toujours à la SNCF et fait partie intégrante de son identité. Faire rouler des trains exige d’être en permanence sur le pont, prêts à réagir et à se serrer les coudes » explique Marianne Eshet. Incarnant ces valeurs de solidarité, la Fondation SNCF concentre son action sur trois domaines : l’Éducation pour prendre sa place dans la société, la Culture pour s’ouvrir sur le monde, et la Solidarité pour bien vivre avec les autres. Pour ce faire, elle s’appuie sur trois leviers d’action que sont l’ancrage territorial, l’engagement des salariés et la co-construction.
À l’instar de son groupe, l’ancrage territorial de la fondation SNCF se traduit par une présence locale réelle, concrète et quotidienne. « En 2008, l’entreprise a mis en place un réseau de 22 correspondants régionaux, qui pilotent aujourd’hui 90% des dispositifs et permettent d’agir au plus près des réalités du terrain. Cet engagement unique en France traduit notre volonté de décentraliser au maximum nos actions, car les enjeux sont plus que jamais de proximité » indique Marianne Eshet.
Récompensée en 2014 par le Trophée du “Mieux Vivre en Entreprise” pour son mécénat de compétences, la Fondation SNCF est également devenue une référence en matière d’engagement des collaborateurs. Depuis 20 ans, elle récompense chaque année 400 projets associatifs portés par des salariés bénévoles via les “Coups de Cœur solidaires”. Il y a 5 ans, elle lançait un ambitieux programme permettant à l’ensemble des collaborateurs de remplir une mission d’intérêt général, jusqu’à 10 jours par an, sur leur temps de travail. Contre toute attente, le bilan du dispositif a dépassé les espérances de l’entreprise, avec à ce jour 1 500 salariés engagés auprès de 110 associations partenaires, pour des missions d’accompagnement ou d’expertise pointue. « Le mécénat de compétences, c’est de la dentelle » lance Marianne Eshet. « Il faut trouver la bonne personne pour la bonne mission, au bon moment et sur tout le territoire. Nous tenions à être représentatifs de nos 150 métiers et embarquer les trois collèges – cadre, maîtrise, exécution – pour que chacun se sente autorisé à agir, quelque soit son statut. Nous avons cherché les associations et missions auxquelles nos salariés pouvaient correspondre, en élargissant la palette des offres et types d’engagement. Objectif atteint puisqu’au départ, 72% des missions étaient remplies par des cadres, contre 52% aujourd’hui. »
Enfin, pour mieux répondre aux enjeux sociétaux, la Fondation place la co-construction au coeur de son action, en encourageant les démarches inter-associatives et inter-entreprises. S’appuyant elle-même sur l’expertise du Réseau National des Maisons des Associations (RNMA), elle a déjà soutenu près de 300 projets communs, portés par quelques 800 associations. La fondation est également impliquée dans l’Alliance pour l’éducation, qui réunit douze grandes entreprises en s’appuyant sur l’action de neuf associations pour lutter contre le décrochage scolaire. « Je crois au faire ensemble. Il me semble que l’on ne change le regard porté à l’autre que lorsque l’on construit en commun. La construction du “bien commun” ne peut être qu’une œuvre collective. » explique Marianne Eshet.
Pour un mécénat volontariste
Forte de 21 ans d’action, la Fondation SNCF, plutôt discrète à ses débuts, s’est imposée dans l’entreprise et ouverte à l’externe, pour devenir la fondation d’un groupe de mobilité international. Avec SNCF, SNCF Mobilités, SNCF Réseau, SNCF Logistics et Keolis, elle poursuit son engagement au service du “Mieux Vivre Ensemble” par un cinquième quinquennat, dont le budget global a été porté à 5 millions d’euros par an.
Parmi ses axes de développement, l’élaboration de méthodes d’évaluation, mais également l’accompagnement de ses filiales sur des projets à l’international, dans les pays où l’entreprise s’inscrit dans la durée. Selon Marianne Eshet, la fondation doit servir l’entreprise au sens noble du terme : « Nous faisons partie intégrante de la dynamique sociétale de l’entreprise, de la RSE. Je ne souhaite pas de cloisonnement car il s’agit d’un mouvement d’ensemble, au sein duquel chacun sait très bien qui fait quoi et dans quel périmètre ».
Comme l’affirme Marianne Eshet, si l’innovation, l’exigence et l’ambition sont indispensables, ils sont au service d’une seule finalité : servir le bien commun. « L’engagement est notre maître-mot et doit permettre à chacun de se sentir responsable et acteur de l’intérêt général, en tant que citoyen, parent, salarié… Il est urgent de passer de la bienveillance à l’engagement, de passer à l’acte. »
Propos recueillis par Alicia Izard
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