Ingénieure et manager accomplie, Manoelle Lepoutre a dédié l’ensemble de sa carrière au Groupe Total. Auparavant Directrice Développement Durable et Environnement, elle est depuis septembre 2016, Directrice Engagement Société Civile et Déléguée Générale de la Fondation Total. Le fil rouge de sa carrière ? Orienter et renforcer la prise en compte des sujets liés à l’environnement et à la responsabilité sociétale, en faisant de ces sujets des moteurs d’excellence, d’innovation et d’adaptabilité pour l’entreprise !
De l’ingénierie à l’engagement : imaginer des schémas nouveaux
Ingénieure géologue de formation, Manoelle Lepoutre a réalisé toute sa carrière au sein du Groupe Total. Diplômée d’un bac +6 à 22 ans et sortie major de sa promotion, elle fut à l’époque la plus jeune femme ingénieure embauchée par le géant de l’énergie. « On m’a proposé un poste alors que j’étais encore à l’école. J’étais hyper décontractée car je ne voulais pas du tout faire ça, ce qui m’intéressait, c’était de me balader sur des volcans et d’être dehors ! » s’amuse-t-elle.
Diplômée de l’ENSG Nancy et de l’IFP, la jeune femme débute alors une carrière technique et opérationnelle chez Total – « la voie royale pour être géologue » indique-t-elle. Elle exercera ce métier pendant près de 20 ans, en France et dans différentes parties du monde, jusqu’à accéder au poste de Directrice des Géosciences pour l’exploitation/production de gisements aux Etats-Unis. « Cette première partie de ma carrière, très technique, m’a également beaucoup appris sur le plan personnel car j’ai eu la chance de m’ouvrir à d’autres sensibilités, avec des équipes multi disciplinaires et multi culturelles » se souvient Manoelle.
En 2004, elle rejoint le siège du Groupe, où on lui confie la responsabilité de la Recherche & Développement pour la branche exploitation/production. « C’était la première fois que je gérais une si grosse équipe, avec de grands enjeux. C’était un univers très masculin et tous mes N-1 étaient meilleurs que moi car experts dans leurs domaines respectifs. Il s’agissait donc d’utiliser ma force de conviction, mon dynamisme, pour guider les équipes et leur donner confiance ». À l’époque, Manoelle Lepoutre restructure la R&D en transverse, désormais organisée par thème plutôt que par métier, ce qui permettait de faire collaborer plusieurs disciplines pour traiter une problématique. « J’avais ajouté un volet ‘‘environnement’’ à chacun des thèmes, car j’étais convaincue que si l’on ne préparait pas la suite, si l’on n’intégrait pas la minimisation des impacts sur l’environnement, ce qu’on développait ne servirait à rien » explique-t-elle. En parallèle, elle créé TWICE, un réseau de femmes interne à Total pour leur permettre d’échanger librement leurs expériences et de faire bénéficier les plus jeunes de l’accompagnement des seniors via des formations, événements, réseaux locaux…
Selon Manoelle, c’est sans doute le fait d’avoir relevé ces deux challenges (diriger une importante équipe pluridisciplinaire et intégrer les enjeux environnementaux ainsi que l’écoute de parties prenantes dans le business) qui a amené le COMEX à lui confier la direction Développement Durable et Environnement en 2009, puis en 2013 la direction des équipes dirigeantes, ce qu’elle fera durant trois ans. « Il s’agissait d’impulser un changement de culture au niveau du Groupe, et pour cela agir aussi sur celle des dirigeants. J’ai beaucoup appris sur les ressources humaines lors de cette mission. »
C’est en 2016 que Manoelle Lepoutre prend ses fonctions actuelles, alors que le Groupe vient de retravailler sa vision à horizon 20 ans, en intégrant complètement les questions climatiques dans la stratégie. « L’entreprise s’est restructurée en conséquence, explique-t-elle, avec notamment la création d’une direction stratégie-climat, et un pôle People and Social Responsability avec une Direction Engagement Société Civile chargée de coordonner l’ensemble des engagements pris par Total pour la société au-delà de la stricte réglementation et de la politique sociétale du Groupe.
(Re)créer un dialogue et agir sur le plan humain
Qu’est-ce que la Direction ‘‘Engagement Société Civile’’ ? Quelles sont ses interactions avec la Fondation Total ? Et avec les autres départements du Groupe ? Pour Manoelle Lepoutre, la réponse est assez claire : le développement durable et l’environnement étant désormais intégrés à la stratégie, la direction ‘‘Engagement Société Civile’’ prend en charge les initiatives de Total sur le plan de ses engagements volontaires envers la société et pour lequel il n’y avait jusqu’alors pas de direction dédiée. « Nous avons considéré qu’une compagnie comme la nôtre peut avoir un réel impact et qu’elle doit se concentrer sur ce sujet et progresser », explique Manoelle.
Le 1er défi de cette nouvelle direction a été de structurer un dialogue avec un certain nombre de parties-prenantes : ONG, leaders d’opinion, mais également les associations, « qui représentent une grande part du PIB en France et portent une partie des évolutions de la société », ajoute Manoelle. Pour cette raison, la direction ‘‘Engagement Société Civile’’ a considérablement développé son action pédagogique. « Si l’on veut contribuer au bien-être de la société, il est impératif d’installer un dialogue, car même en étant convaincus que l’on fait les choses bien et que l’on apporte énormément à la société, si nos choix sont mal interprétés ou rejetés, un moment arrivera où l’on ne pourra plus agir et où d’autres le feront, peut-être moins bien. On est aussi responsables de la rupture de dialogue », explique Manoelle.
Son 2e chantier prioritaire consistait à réorienter les actions de mécénat, qui pour être pertinentes, doivent avoir du sens vis-à-vis de l’activité de l’entreprise. De fait, la fondation s’est recentrée sur quatre axes d’intervention : la sécurité routière (sur laquelle le Groupe a développé une véritable expertise), les forêts et le climat (pour lequel l’entreprise peut être une partie de la solution sur le plan business et dont elle prolonge la stratégie via le mécénat en s’occupant des zones naturelles à préserver et restaurer), l’éducation et l’insertion des jeunes (avec par exemple la création d’un campus de l’industrie du futur et la lutte contre le décrochage scolaire), enfin le dialogue des cultures et le patrimoine (sujet que l’entreprise, présente dans 130 pays, met en pratique au quotidien). « Nous devons accepter notre part de responsabilité sur le décrochage entre des populations qui se sentent abandonnées par le système actuel globalisé et le reste de la population qui profite des opportunités de la mondialisation ». Pour cette raison, la Fondation Total a choisi de mettre la jeunesse et les territoires au cœur de son action avec un budget doublé à hauteur de 30 millions d’euros de dotation annuelle.
Un mécénat exigeant
Pour Manoelle Lepoutre, le mécénat d’entreprise doit être performant. « On nous confie de l’argent, gagné par nos camarades et collègues, et celui-ci est en partie défiscalisé. Nous avons donc un devoir minimum : c’est qu’il soit autant, voire plus efficace sur le plan de l’impact sociétal que si l’État l’avait utilisé, et tout aussi performant que nos projets business ! C’est mon leitmotiv et une conviction personnelle », affirme-t-elle.
Lorsque l’on évoque les débats sur le caractère désintéressé du mécénat, sa réponse est également sans équivoque. « On ne fait rien de désintéressé sur cette planète, toute action est motivée par un intérêt même inconscient donc il faut à mon avis clore ce faux débat, par ailleurs très franco-français ! ». Pour autant, Manoelle explique que derrière le vocabulaire, il faut préciser les choses : « si désintéressé veut dire sans retombées économiques directes, alors notre engagement l’est, mais l’entreprise ne se cantonne pas à une vision économique de court terme ». Selon elle, on ne s’implique pas dans l’intérêt général pour le business, mais il génère bel et bien des retombées positives. Pour couper court au sujet, la Fondation Total a fait le choix d’offrir ses contreparties aux associations partenaires. « Nous n’utilisons le mécénat ni pour des opérations de relations publiques, ni pour en faire profiter nos salariés. Nous pouvons tout à fait louer un espace culturel prestigieux sans pour autant utiliser le mécénat ! ».
Enfin, Manoelle est convaincue qu’au-delà de l’entreprise, chaque acteur doit faire sa part. « L’entreprise a la capacité et les moyens de faire beaucoup de choses, mais l’Etat doit aussi pleinement jouer son rôle. À mon avis, il ne faut pas se substituer aux autres acteurs (associations, institutionnels…), alors même qu’ils ont une expertise propre et complémentaire. » Pour cette raison, la Fondation Total a choisi d’agir en coopération avec son écosystème, en co-construisant les projets et en utilisant sa capacité d’entraînement pour faire bouger les lignes au-delà de Total. Une aventure collective, pour répondre à des défis de taille.
Propos recueillis par Alicia Izard
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