Frappée depuis 2015 par une crise migratoire sans précédents, l’Europe doit désormais répondre à un défi majeur : l’insertion des réfugiés. Ce sont en effet près d’1,5 million de migrants qui sont arrivés sur le continent en à peine deux ans. Au sein d’un écosystème composé d’ONG, d’associations et de citoyens, les grandes entreprises jouent un rôle primordial. Du financement de projets à la mise en place de programmes opérateurs, ces dernières s’engagent pleinement pour accompagner les plus fragiles.
La France enregistre la présence sur son territoire d’environ 45 000 réfugiés[1], majoritairement en provenance de Syrie, du Soudan et d’Afghanistan. Face à ces réalités et ces expériences plurielles, il apparaît néanmoins complexe de cibler l’aide apportée. Migrants[2] et réfugiés[3] sont, en effet, confrontés au quotidien à de multiples difficultés (précarité des conditions de vie, déficit d’intégration…) et ont besoin du soutien de la société civile.
Financer les besoins de première nécessité
En septembre 2015 la photographie du jeune Aylan fait office d’électrochoc dans l’opinion publique. Le corps sans vie de cet enfant, retrouvé sur les plages de Turquie tandis qu’il tentait de fuir un pays en guerre avec sa famille, cristallise l’ampleur de la crise migratoire, en même temps qu’il en dénonce toute la violence. En parallèle les « boat people » deviennent tristement célèbres et témoignent de la dangerosité du périple des migrants. Impossible alors de rester de marbre pour les entreprises. Sodexo, Air Liquide, Michelin et Total publient un communiqué commun afin d’annoncer leur volonté d’apporter leur aide, selon « leur savoir-faire », « leurs compétences » et les « moyens dont elles disposent ». Leur engagement se traduit rapidement par la mise à disposition de locaux, le don de nourriture, ou encore la prise en charge de soins de santé. Un premier levier d’action direct qui contribue à apporter des solutions immédiates. Dans cette même perspective, Axa annonce l’allocation d’un montant d’1 million d’euros pour répondre aux besoins à court-terme des réfugiés.
La mobilisation se poursuit chez d’autres acteurs, proposant des dispositifs plus ciblés. Ainsi, la Fondation Ikea intensifie son opération « Better shelter » consistant à offrir des abris aux migrants, au sein de leurs multiples espaces de transit. Airbnb lance la plateforme « Openhomes » pour mettre en relation particuliers et personnes à la recherche d’un logement, à la suite d’un exil forcé. Objectif pour l’entreprise ? Assurer à 100 000 réfugiés un hébergement en 5 ans. Mais après avoir fourni des toîts, il faut encore assurer le suivi médical de milliers de familles éprouvées par leurs longues traversées. L’association Parcours d’exil à Paris œuvre pour renforcer l’accompagnement médico-thérapeutique de ces dernières et a notamment reçu une somme de 200 000 euros de la Fondation EDF. Autant d’initiatives qui ont permis, à leur échelle, un meilleur accueil des migrants en France et qui ont pu voir le jour grâce à la réactivité de certaines entreprises. Enfin, comme une passerelle entre l’accompagnement d’urgence et l’insertion durable, BNP Paribas et le Groupe Lafayette ont financé l’association « École Thot » qui vise à enseigner le français aux réfugiés afin de faciliter leur entrée dans la société française.
Soutenir les initiatives en faveur des réfugiés
Si le temps de la réaction, tant vive qu’émotionnelle, est désormais passé, il faut à présent agir sur le long-terme et perpétuer cet élan de solidarité. Les leviers d’interventions sont alors plus indirects et se traduisent très souvent par un soutien en nature apporté à des initiatives en faveur des réfugiés. Total et Accenture répondent par exemple présent pour rendre possible le projet des associations Singa et Simplon.co, destiné à guider les migrants, ayant obtenu l’asile, vers l’emploi, ce dernier étant perçu comme un facteur clé d’insertion. 16 jeunes ont ainsi pu bénéficier d’une formation gratuite au codage informatique, en partie financée par la contribution de Total (200 000 euros) et dispensée par des consultants d’Accenture, intervenants au titre du mécénat de compétence. Plus récemment, l’association Singa a dévoilé son nouveau dispositif « The Human Safety Net » à destination des « entrepreneurs réfugiés », qui se voient proposer l’opportunité d’être accompagnés pour concrétiser leurs idées.
Puisque l’emploi est un enjeu central, Total, à nouveau, ainsi que le Club Meb sont allés plus loin et ont impliqué leurs collaborateurs dans un programme de mentorat, imaginé par l’association Kodiko. L’objectif est simple : offrir aux réfugiés la possibilité d’être conseillé par des cadres de ces deux grandes entreprises, afin d’une part d’obtenir des informations pratiques mais surtout de l’autre de redonner confiance à des travailleurs qualifiés, trop souvent perdus au sein d’un marché du travail qui leur est peu familier. La mobilisation du secteur des engagements citoyens est donc essentielle pour permettre à ces populations de retrouver un cadre de vie stable et apaisé.
Les leviers d’action des entreprises vont plus loin que le soutien aux associations reconnues d’intérêt général. L’engagement se poursuit et s’inscrit dans le cadre des systèmes d’investissement citoyen de ces entreprises, notamment à travers des relations avec start-ups sociales. C’est le cas de Carrefour, Total, BNP et Danone communities qui ont fait appel à la start-up Cuistots migrateurs. La promesse ? « Voyager grâce aux talents de chefs réfugiés ».
S’il est évident que nombre des individus ayant pris la route de l’exil sont encore soumis à une grande précarité, il n’en demeure pas moins que ces multiples collaborations témoignent d’une convergence réelle des entreprises autour de l’aide aux migrants et prouvent l’efficacité des actions et projets de mécénat collectif.
Accompagner, former et employer : de l’insertion à l’intégration
Les entreprises, qui occupent des places de leader au sein du marché de l’emploi ont donc convergé autour de cette cause commune. BNP Paribas, Starbucks, Adecco, et Total sont au premier rang des entreprises qui mettent en place des programmes portés en propre en faveur des populations déplacées. L’insertion professionnelle favorise l’intégration dans la société française lorsque l’accompagnement, la formation et les débouchés sont envisagés conjointement.
C’est en effet un ensemble cohérent de programmes qu’on voit progressivement se développer. Isabelle Meunier, retail stratégie manager chez BNP Paribas, est désormais à l’origine de l’association « Job Grant » créée il y a un 1 an. BNP Paribas a joué le rôle d’incubateur pour Job Grant, puisqu’Isabelle Meunier a pu obtenir des financements du groupe, recruter des bénévoles en son sein (des salariés aux différents profils : finance, RH, conformité, IT…), et bénéficier du réseau des entreprises partenaires du groupe. Elle insiste d’ailleurs sur l’importance des directions RSE du groupe qui sont « des acteurs clefs de l’économie sociale et solidaire ». Aujourd’hui, elle s’associe avec Théo Scubla le fondateur de Wintegreat pour créer une entreprise sociale nommée WERO :
« Nous souhaitons regrouper nos forces pour créer, dans la continuité de Job’Grant, un cabinet de recrutement spécialisé dans le placement des personnes réfugiées. Les entreprises doivent faire face à de nouveaux enjeux : l’interculturalité que ce soit dans l’approche de leurs clients ou de leurs partenaires, l’agilité pour rester compétitifs et innovants et l’utilité sociale. À cette fin, elles recherchent des profils à l’expérience rare qui sortent des circuits classiques de recrutement et, plus simplement, des candidats plus ouverts motivés et engagés. Notre mission, faciliter la rencontre entre entreprises et personnes réfugiées. Grâce à une vision à 360° de nos profils, notre algorythme de matching, et un système de sourcing unique, nous pouvons leur garantir des redirections crédibles et sans risque, de profils qui correspondront à leurs besoins. »
Parmi les entreprises qui recrutent, Total et Starbucks ont annoncé des plans d’envergure : 300 réfugiés accueillis au sein des centres de vacances de la première avec une éventuelle embauche à la clé, 2500 employés pour la seconde en Europe d’ici 2022. Adecco finalement, société spécialisée dans le recrutement intérim en France et implantée dans le monde entier, dirige un projet pilote en partenariat avec les pouvoirs publics pour permettre l’intégration des réfugiés. Mandatée par le gouvernement en Allemagne et en France pour la prise en charge de ces derniers, elle assure un cheminement global allant de la mise en place d’un « bilan de compétences » à la recherche d’emploi et fournit des conseils adaptés aussi bien aux réalités du marché du travail qu’aux attentes des futurs travailleurs.
A l’heure où les citoyens estiment l’implication plus grande des entreprises nécessaire, en complément à l’action de l’État, cet appel à la solidarité généralisée semble pouvoir se concrétiser. De même, ce foisonnement d’initiatives tend à favoriser le modèle du mécénat collectif.
Ainsi, au-delà de la traditionnelle relation entreprise/association, le secteur s’ouvre à d’autres acteurs et à des pratiques incluant plusieurs mécènes et fédérant acteurs publics et privés autour d’une même grande cause. Et alors que celle des migrants n’a cessé de mobiliser au cours des derniers mois, elle a aussi permis de révéler le potentiel de l’intelligence collective ainsi que toute la pertinence d’un engagement généralisé et coordonné.
[1] Données du Ministère de l’Intérieur, 11 juillet 2017.
[2] Est considéré comme « migrant », selon l’ONU, une personne ayant quitté son pays de manière volontaire ou forcée et vivant sur un autre territoire que le sien depuis plus d’un an.
[3] Le qualificatif « réfugié » s’applique dans la cadre de la convention de Genève, signée en 1951. Il désigne une personne persécutée dans son pays d’origine et qui se voit contrainte de le quitter, ne pouvant bénéficier de sa protection.
Par Les entreprises pour la Cité en partenariat avec Carenews
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