L’Économie Sociale et Solidaire (ESS) désigne une multiplicité d’acteurs et de pratiques, parfois difficiles à discerner.
Les structures se multiplient depuis peu, et on voit émerger des projets innovants aux côtés des projets d’intérêt général éligibles à la défiscalisation. Passant d’une vision philanthropique à de l’investissement social, le financement des acteurs de l’ESS se recoupe sous des schémas divergents mais qui sont marqués par la recherche d’impact et un accompagnement stratégique des grandes entreprises envers ces nouveaux acteurs de la citoyenneté.
Selon le Panorama des fondations et fonds de dotation créés par des entreprises mécènes (EY/Les entreprises pour la Cité – 2016), 19 % des entreprises interrogées investissent dans l’économie solidaire.
Au cœur de l’ESS, les principes de solidarité et d’utilité sociale, adoptés par « un ensemble d’entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations », selon le CEDEF (Centre de documentation économie-finances). Ce qui est à mettre en exergue, c’est qu’il s’agit d’acteurs pour qui le profit individuel est écarté et dont les résultats sont réinvestis pour le bien commun. Cette nouvelle branche de l’économie se veut donc plus responsable et est encadrée par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014.
Qui sont les acteurs de l’ESS ?
Grâce au récent cadre législatif, il devient possible d’établir précisément les caractéristiques exigées pour être considéré comme acteur de l’ESS. La loi prévoit ainsi que « l’économie sociale et solidaire est un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine auquel adhèrent des personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :
- Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ;
- Une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ;
- Une gestion conforme aux principes suivants : mes bénéfices sont majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise. Les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent pas être distribuées. »
Les structures de l’ESS
Si les conditions établies par la loi semblent explicites, il n’en demeure pas moins qu’une multitude de structures peuvent prétendre à rejoindre l’ESS. Les associations, les mutuelles, les coopératives et les fondations sont les piliers de cette économie plus responsable, mais les entreprises à statut commercial ont désormais un rôle à jouer. Ces dernières, dès lors qu’elles s’engagent à poursuivre les principes de l’ESS, peuvent contribuer à promouvoir un nouveau modèle. Elles nourrissent notamment l’ambition de créer des emplois pérennes et non délocalisables, participant de fait à favoriser la cohésion sociale et à répondre aux besoins socio-économiques des territoires.
Parmi les acteurs phares de l’ESS, quelques exemples sont devenus reconnus et sont essaimés sur le territoire et au-delà des frontières. Il suffit d’en citer quelques-uns pour réaliser l’ampleur du terrain de jeu : Arès, les réseaux de Cocagne, le groupe SOS et Emmaüs (associations), les fondations Apprentis d’Auteuil et Entreprendre (fondations), simplon.co, Ashoka et MakeSense (accompagner et promouvoir l’entrepreneuriat social), le Labo de l’ESS (think tank).
On peut bien sûr citer également les modèles qui cumulent les statuts (association/fondation/entreprise) aussi appelés modèles hybrides. Ainsi, plusieurs structures développent ces statuts doubles : l’association passeport Avenir et son fonds de dotation, Simplon.co, qui est une entreprise sociale, mais qui est aussi une fondation ou encore Unis-Cité, fondation et association. Bien souvent, le fonds de dotation et la fondation servent à lever des fonds pour des projets à intérêt général, le don étant défiscalisable. Les structures d’entrepreneuriat social ou les associations qui vendent des prestations n’offrent pas cette opportunité fiscale. La complexité de ces structures révèle un besoin de renouveau tant dans les statuts que dans les financements.
Comment les entreprises financent-elles l’ESS ?
Selon les chiffres délivrés par le site du Ministère de l’Économie, l’ESS représente près de 10 % du PIB de la France. Qui sont les organismes prêts à investir dans l’économie sociale et pour quelles raisons ? Outre le soutien de l’État via les collectivités locales, la BPI ainsi que la Caisse des dépôts, les financeurs solidaires (Adie France, France Active) et l’épargne citoyenne, l’ESS bénéficie d’un soutien grandissant des grandes entreprises. Ces dernières agissent via différents canaux : mécénat, investissements solidaires/citoyens, transferts de compétences, dons ou encore contrats à impact social.
Mécénat et dons
Les entreprises de l’ESS sont nombreuses à appeler au financement par le mécénat, et à la défiscalisation de ces dons. Frédéric Bardeau, fondateur emblématique de simplon.co, le revendique dans un entretien à carenews en mars 2017.
Ma vision du financement de l’intérêt général est double. D’abord les choses ne peuvent pas rester en l’état. Le mécénat classique (avec des subventions) est de plus en plus difficile à trouver et certains opérateurs de l’économie sociale et solidaire ne s’en remettront pas. Le nouvel agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale) ouvre la voie à de nouveaux financements privés, mais il n’est toujours pas possible d’émettre des reçus fiscaux et nous plaidons aussi pour que des entreprises comme les nôtres puissent accéder au mécénat en France. Un autre levier important serait l’autorisation de faire des levées de fonds pour les start-ups. Le mécénat est en pleine mutation, une partie de l’intérêt général étant rentable, l’autre restera à fonds perdus, mais elle doit durer quand même. Car il y a de moins en moins d’argent avec un financement public en baisse, mais de plus en plus de causes à défendre (réfugiés, SDF, maladies rares), il faudra être de plus en plus créatif.
Frédéric Bardeau, Fondateur de simplon.co
Comme pour l’investissement, les leviers sont divers : don en nature, abondement d’une opération de levée de fonds (ou de crowdfunding) ou encore plus classiquement, dons financiers. C’est le cas par exemple du concours de grande ampleur, la Fabrique Aviva. L’assureur Aviva dote d’un million d’euros des initiatives locales utiles et innovantes. Les entrepreneurs sont accompagnés sur la globalité du projet par des experts mis à disposition et bénéficient du label « Fabrique Aviva ».
C’est dans ce contexte d’investissement social que le pro bono trouve également un sens nouveau. Destiné au départ au mécénat à destination des acteurs de l’intérêt général, le pro bono devient un investissement en compétences précieux pour les acteurs de l’ESS. Ainsi, par mission longue, accompagnement ponctuel ou opération coup de poing (comme les marathons), les grands groupes mettent à disposition leurs collaborateurs. Cet investissement répond à un enjeu très fort de mobilisation des salariés, notamment des plus jeunes (lire l’article dédié sur mecenova.org).
Les entreprises : nouveaux investisseurs sociaux
Afin de clarifier cette notion, Abigail Noble, chercheuse à la Fondation Schwab pour l’Entrepreneuriat Social, propose la définition suivante : « l’investissement social permet d’apporter du capital à des organisations œuvrant en faveur du changement social, de façon pragmatique par rapport aux impératifs des acteurs économiques ». Derrière ces pratiques, se cache en réalité « un double retour » selon Pro Bono Lab, qui permet de comprendre les spécificités de ce type d’investissement. Ainsi, un retour financier sur le capital investi est attendu, ce qui le différencie d’un don ou d’une subvention et un retour ou l’impact social est espéré, ce qui le distingue d’un investissement plus conventionnel.
La notion d’impact est capitale pour les entreprises innovantes. Elle est au cœur de la démarche de la Fondation Rexel, qui est un laboratoire de solutions innovantes à impact social.
La Fondation Rexel créée en 2013 a pour mission l’accès à l’énergie pour tous et la lutte contre la précarité énergétique. Initialement, la Fondation Rexel soutenait uniquement des associations. L’écosystème a depuis grandi et s’est ouvert aux entrepreneurs sociaux et solidaires et aux start-ups. L’originalité de cet écosystème est de faire se côtoyer des acteurs venant d’univers très différents pour trouver ensemble des solutions innovantes. La Fondation Rexel riche de son écosystème associé au savoir-faire des équipes de Rexel, permet de valider ces solutions et de proposer des modèles économiques innovants et pérennes, créateurs de valeur et d’impact.
Bertrand de Clermont Tonnerre, directeur du développement durable du Groupe Rexel
Quant aux motivations qui guident ces nouvelles pratiques financières, elles sont, par exemple, liées aux nombreux avantages que représentent pour des investisseurs les structures de l’ESS. Dans un article consacré au sujet, L’Express s’interrogeait sur l’impact investing et affirmait : « les entreprises sociales ont les atouts pour séduire les investisseurs. Leur activité est bien souvent contracyclique: quand le chômage est au plus haut, les sociétés d’insertion tournent à plein. Elles sont souvent plus résistantes aux chocs, grâce à un modèle hybride, reposant sur des subventions publiques en période de vaches maigres. Elles sont aussi généralement moins chères à l’achat, par rapport à des entreprises de l’économie classique. (…) Autre caractéristique : l’argent gagné ne se retrouve pas dilapidé en dividendes et autres paiements d’intérêts. L’investisseur se rémunère à la sortie, sa part de capital ayant pris de la valeur, voire beaucoup, comme celle de Vitamine T, passée de 10 à 62 euros. »
Vers la philanthropie d’investissement
Il s’opère un glissement significatif : l’entreprise s’émancipe de la figure du « mécène » et devient plutôt, via sa fondation ou directement, un véritable « investisseur social » en mettant à disposition des ressources humaines, financières ou en nature.
Dans les modèles récents, qui reflètent la philanthropie d’investissement vers laquelle notre société évolue, le contrat à impact social offre une manière innovante et intelligente d’investir. Encore à ses prémices, le dispositif devrait se déployer rapidement, à l’instar des Social Impact Bonds outre-manche, et permettre aux entreprises d’appréhender les nombreux acteurs de l’ESS (voir le dossier dédié sur mecenova.org).
Désormais, les chèques et les ressources sont liés à un accompagnement stratégique et à une vision qui valorise un impact positif analysé. Au-delà de l’impact mesurable, l‘ESS est une porte ouverte vers l’open-innovation et la co-construction pour les entreprises, qui gagnent à se renouveler.
À travers notre Corporate initiative au niveau européen, nous constatons la mobilisation croissante des entreprises pour la création de valeur sociétale. Dès lors qu’elle fait sens pour le business, la question pour les dirigeants n’est plus de savoir s’ils doivent ou non engager leur entreprise dans cette voie, mais plutôt comment conduire ces initiatives, quelles stratégies adopter pour en maximiser l’impact sociétal. Pour ce faire, les entreprises utilisent de plus en plus la venture philanthropy et les social investments comme outil de création de valeur sociétale et business (« shared value » au sein de leurs fondations, de leurs fonds d’impact, incubateurs ou autres véhicules d’investissement. À cet égard, certaines entreprises françaises font partie des pionniers dans ce secteur au niveau européen. Une belle source d’inspiration pour les entreprises européennes ! Notre rôle à l’EVPA est justement d’inviter davantage d’entreprises à partager leurs best practices, s’inspirer des expériences des unes et des autres pour aller plus vite plus loin dans leurs initiatives.
Sophie Faujour, European Venture Philanthropy Association (EVPA)
Ce changement de fléchage des ressources des entreprises est révélateur d’une évolution sectorielle et sociétale. Les enjeux économiques sont importants, car l’ESS représente 10 % du PIB et est porteur d’emploi (600 000 postes à pourvoir d’ici 2020). Au-delà de ces données, l’investissement dans l’ESS est symptomatique d’une société qui a compris que les grandes entreprises ne peuvent se développer dans un monde qui va mal. Et que soutenir, via du don ou par des investissements solidaires, ces entreprises change makers est une clé pour l’entreprise de demain. Utilisant ses compétences stratégiques et managériales, l’entreprise innove en se mobilisant autour de projets, avec ou sans lucrativité, mais à impact positif.
Par Les entreprises pour la Cité en partenariat avec Carenews
[…] investissements. À ce sujet, Mécénova a publié un article intéressant il y a quelques jours : Grandes entreprises & ESS : de nouvelles formes d’investissements sociaux Et puis, dans l’ESS, on a aussi les acteurs coopératifs ou les mutuelles par exemple, pour […]
[…] Tout dépend de ce que l’on entend par ESS. Avec les évolutions terminologiques et juridiques, l’ESS regroupe aujourd’hui des acteurs aux modèles économiques parfois très éloignés. Les structures qui portent des projets à but non-lucratif ont clairement besoin de fundraising. Beaucoup d’associations ont pris ce pli et se professionnalisent de plus en plus depuis quelques années, c’est génial car le potentiel est là. Du côté des structures de type ESUS ou start-up à objet social, le modèle est différent, et elles ne sont pas toujours éligibles aux dispositifs de mécénat. Elles ont plutôt pour objectif de déterminer un modèle économique pérenne et de se faire accompagner par des investissements. À ce sujet, Mécénova a publié un article intéressant il y a quelques jours : Grandes entreprises & ESS : de nouvelles formes d’investissements sociaux […]
[…] décembre, nous évoquions dans ce dossier les nouvelles formes d’investissements sociaux des grandes entreprises. Ces dernières […]