Si l’appel à projets demeure le mode de sélection privilégié pour les fondations et entreprises mécènes, souhaitant accompagner les acteurs de l’engagement citoyen, de nouvelles méthodes pour repérer les initiatives à fort potentiel voient aussi le jour. Dans un souci grandissant d’impact, les financeurs n’hésitent plus à intégrer dès le début des processus de sélection des éléments en lien avec l’évaluation. Ils réinventent par ailleurs leur rôle, assurant désormais des missions plus approfondies de médiation et d’accompagnement.
Une tradition du secteur : l’appel à projet
Alors qu’en France, en 2016, on dénombrait près de 4759[1] fondations et fonds de dotation, dont 360 créées par des entreprises, nombreuses encore sont celles qui opèrent selon la tradition de l’appel à projets. « L’AAP », si commun pour les acteurs du secteur de l’intérêt général, repose sur une logique spécifique qu’il convient de rappeler. Souvent structuré autour d’une thématique en fonction du domaine d’action des fondations, il est destiné aux porteurs de projets, s’adressant aussi bien aux organismes à but non lucratif, aux organismes à gestion désintéressée, ou encore aux entreprises de l’ESS. L’objectif pour les fondations ? Identifier des initiatives, des solutions pouvant contribuer à répondre aux défis du quotidien. Insertion, logement, santé, sport, éducation, la liste est longue et ne manque pas de diversité. Parmi les récents appels à projets recensés par le Centre Français des Fonds et Fondations, on retrouve par exemple celui de la Fondation Eiffage, consacré au « bien vivre ensemble sur tous les territoires », celui de la Fondation Crédit Coopératif, récompensant « l’initiative en économie sociale » ou encore celui de la Fondation Auchan pour la jeunesse, destiné aux associations étudiantes. Pour participer à ces derniers, la procédure est classique : un dossier à compléter, puis une sélection est organisée en interne par les fondations distributrices qui décident du type et du montant des aides à accorder aux projets.
Toutefois, la méthode traditionnelle demeure très verticale et manque parfois de transparence comme d’horizons. Comment faire la différence parmi les dizaines de candidats ? Comment garantir l’impact réel d’une initiative soutenue ? Comment s’assurer du bon usage des financements ? Pour répondre à ces problématiques, les fondations tendent alors à faire évoluer leurs pratiques, s’attachant par exemple à exiger dès le début du processus l’établissement d’un budget précis par les porteurs projets. Viabilité et efficacité, sont les nouveaux objectifs qui animent les acteurs de l’engagement.
Un paysage en mutation : s’adapter aux nouvelles dynamiques
Si des évolutions dans les pratiques des fondations et entreprises mécènes interviennent ces dernières années, le hasard n’y a que peu de responsabilités. En effet, les raisons de cette réorientation s’inscrivent en premier lieu dans une tendance globale du secteur. Partout fleurissent les questions d’impact, traduisant la volonté des acteurs de l’intérêt général de donner encore davantage de sens à leur action mais aussi d’assurer leur légitimité auprès de citoyens de plus en plus exigeants qui demandent des preuves d’utilité sociale. En parallèle, il est aussi devenu essentiel de réaliser des investissements plus stratégiques. Plusieurs facteurs se conjuguent alors dans cette perspective : besoin grandissant des territoires d’implémenter des projets qui fonctionnent à court et à long-terme, ambition des fondations de s’insérer dans un écosystème durable, désir de générer des pratiques de solidarité plus globale. Enfin, dernier élément significatif, le développement du numérique crée de nouvelles opportunités pour repérer, sélectionner et financer des projets. Reste à présent le défi de s’y adapter et de mettre à profit le potentiel du crowdfunding ou encore des plateformes collaboratives afin de favoriser l’émergence de larges réseaux de générosité. Un projet à succès, davantage qu’un accord entre une fondation et un initiateur, sera bientôt une promesse tenue entre citoyens engagés, financeurs impliqués et communauté de soutien.
Comme pour concrétiser cette ambition, la Fondation Somfy a lancé la plateforme Les Petites Pierres afin de lutter contre le mal-logement. Tandis que le rapport de la Fondation Abbé Pierre de 2017 fait état de 12 millions de précaires et de 4 millions de mal-logés en France, la plateforme créée il y a quatre ans propose de financer des logements décents via le crowdfunding, en associant particuliers, fondations et entreprises. Le portail en ligne présente un flux constant de projets auxquels chaque internaute peut faire un don. Le montant versé est ensuite doublé par la Fondation Somfy et ses partenaires (Simu, Fonds de dotation Qualitel, Crédit agricole des Savoie, Fondation Crédit Agricole, Sopra Steria, la Fondation Macif…).
À terme, les porteurs de projets doivent atteindre les objectifs de financement qu’ils se sont fixés antérieurement à leur demande de soutien. En établissant ainsi en amont un budget à l’euro près, les structures associatives disposent d’un horizon plus clair tandis que les financeurs bénéficient d’une meilleure visibilité quant à l’utilisation des fonds qu’ils allouent.
L’inversion de la logique d’appel à projets : sourcing, monitoring, et mesure d’ impact
Pour se renouveler, les fondations ont donc choisi d’inverser les logiques à l’œuvre depuis de nombreuses années. Intervenant traditionnellement dans les étapes finales du processus de sélection de projets et se présentant comme les derniers interlocuteurs des acteurs associatifs, elles tendent désormais à occuper une place de premier rang. Les méthodes de sourcing se généralisent et consistent pour les fondations à identifier, directement sur le terrain, les initiatives à fort potentiel via un travail d’enquêtes.
Repérer les projets innovants socialement au sein de cinq grands domaines (mobilité, habitat, santé, finance solidaire et lutte contre l’isolement), c’est ainsi l’objectif de la Fondation Macif. Alice Sorel, chargée de mission, détaille le processus de « détection de projets » de cette dernière. Il fonctionne sur un ancrage territorial très fort, où d’importants moyens humains permettent d’identifier les porteurs de projets qui seront encouragés. Au cœur de la démarche de la fondation un maillage d’acteurs, composé de chargés de mission implantés dans chaque région administrative française, entretenant des liens forts avec les acteurs des collectivités locales ainsi que de représentants au sein des fonds territoriaux gérés par France Active. Ce réseau de partenaires est alors crucial pour la fondation, qui en fait un moyen de détection comme un critère de sélection :
« Un projet qui n’est pas entouré par un réseau de partenaires publics, même si c’est une excellente idée, ne peut recueillir notre soutien. Par ailleurs, on ne finance pas un projet tant qu’on ne s’est pas déplacé. C’est la responsabilité de nos chargés de missions que de rencontrer directement les acteurs sur le terrain. »
Alice Sorel, Chargée de mission, Fondation Macif
Une approche exigeante qui a indéniablement fait ses preuves, comme en témoigne le succès de Voisins Malins, une association luttant contre l’isolement des personnes dans les quartiers. Le projet est initialement parvenu à la Fondation Macif via France Active dans le département de l’Essonne (77) et s’est ensuite implanté en Seine-Saint-Denis (93) pour enfin achever son développement à Lille, à Marseille et atteindre aujourd’hui l’étape de l’essaimage national. L’histoire se répète pour Le Carillon, réseaux locaux de commerçants et d’habitants solidaires des personnes sans domicile, qui a connu les mêmes dynamiques de changements d’échelle et a depuis été lauréat du concours 2017 de la Fondation La France s’engage.
Dès lors, les fondations et entreprises mécènes, au-delà de la sélection, redoublent également d’efforts quant aux enjeux d’accompagnement. Elles encadrent et assurent la durabilité, voire même le changement d’échelle des projets qu’elles financent. Enfin, nouveauté et avancée, elles attachent une importance grandissante aux mesures d’impact[2] afin de les guider dans leurs choix d’investissement. Le contrôle de l’utilité sociale ne se fait donc plus a posteriori mais bien a priori ou en flux. Ces pratiques, parfois regroupées sous l’appellation « monitoring » (un équivalent des termes « surveillance », ou « suivi sur le long terme »), diffèrent cependant d’une fondation à l’autre et restent marquées par une profonde hétérogénéité. À défaut de paradigme, la Fondation Rte, engagée pour le développement économique, social et solidaire des campagnes françaises, s’est lancée dans un pari innovant depuis 2013, et représente un cas d’école.
« A la Fondation Rte, nous sommes convaincus qu’efficacité économique et utilité sociale doivent fonctionner ensemble. Cette conviction guide notre action depuis 2013 avec l’inscription dans nos statuts du soutien à des projets de l’économie sociale et solidaire, une première dans le paysage des fondations. Nous ne lançons pas d’appels à projets thématiques, nous travaillons en flux continu. Ce que nous cherchons à soutenir, c’est avant tout un projet de territoire qui va permettre, en fédérant largement les acteurs de ce territoire, de répondre à des besoins clairement identifiés et de générer une dynamique bénéfique pour l’ensemble de la population »
Elodie Rolland, Responsable des programmes, Fondation Rte
La présélection des projets permet de vérifier que ceux-ci s’inscrivent dans les quatre dimensions (économique, environnementale, sociale et une dimension liée au développement territorial) que la fondation a déterminées comme significatives pour caractériser un porteur de projet. Lors de l’instruction effectuée sur place par un salarié retraité de Rte bénévole, un échange contradictoire avec le porteur de projet permet d’attribuer à chacune de ces dimensions un ou des objectifs, indicateurs de suivi et projections de résultats. L’ensemble de ces éléments est reporté dans la fiche de synthèse du projet, outil de travail du Comité exécutif de la Fondation et de ses équipes.
« Si la fondation a adopté cette approche nouvelle, c’est pour trois raisons : s’adapter à des exigences économiques croissantes, promouvoir une vision de projet de territoire, et enfin professionnaliser tant les structures que nous accompagnons que la fondation. »
Afin de conclure ce dossier, il est essentiel de rappeler qu’au cœur de ces évolutions demeurent encore de nombreux défis à relever et des thématiques clés à explorer. Les débats relatifs à la mesure d’impact ne cessent en effet d’être prolongés. Par ailleurs, l’évolution des pratiques de sélection soulève l’importante question des nouveaux critères de choix des fondations et interroge sur la place qui continuera d’être accordée aux plus petites initiatives. En définitive, c’est aussi la recomposition même des réseaux de solidarité qui est à examiner, les fondations n’étant parfois plus les seuls acteurs à s’investir et comptant sur la générosité plus ciblée des particuliers et d’autres parties prenantes.
[1] Panorama des fondations et des fonds de dotation créés par des entreprises mécènes – 2016. EY, Les entreprises pour la Cité.
[2] La mesure d’impact correspond au processus visant à comprendre, mesurer et/ou valoriser les effets positifs ou négatifs, prévus ou imprévus, directs ou indirects, d’une action partant du bénéficiaire et pouvant s’élargir à l’ensemble de ses parties prenantes (directes puis indirectes).
Par Les entreprises pour la Cité en partenariat avec Carenews
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