Nombreuses sont les collectivités territoriales qui misent désormais sur le mécénat et la collecte de fonds pour diversifier leurs ressources et compléter leurs budgets. Parmi elles, la ville de Sceaux va même bien plus loin en misant notamment sur l’entrepreneuriat social… Décryptage.
Face à une baisse drastique des dotations de l’Etat, les collectivités territoriales, en quête de financements complémentaires, s’emparent à leur tour du mécénat et de la collecte de fonds. Partout en France, des initiatives très diverses voient le jour. Parfois de manière ponctuelle, essentiellement le temps de fédérer acteurs économiques et administrés d’un même territoire autour d’une urgence sociale, patrimoniale ou de tout autre projet emblématique. Mais de plus en plus, ce sont des démarches d’envergure, plus structurantes, qui voient le jour. Des communes, intercommunalités, départements et régions qui font ainsi le choix d’un changement profond de culture en interne, comme vis-à-vis de leurs parties prenantes externes. Celui de préparer l’avenir et de faire évoluer leurs rapports vis-à-vis de leurs concitoyens. De leur tissu économique. De plus en plus font en effet ce choix d’un mécénat intégré et d’une collecte de fonds qui serviront des enjeux très stratégiques de développement du territoire.
Bien au-delà des fonds collectés, qui permettent désormais aux collectivités d’asseoir une intervention spécifique ou de venir en appui d’un ensemble de politiques publiques, ces nouvelles pratiques favorisent en effet l’émergence de nouveaux écosystèmes de création de valeur partagée à l’échelle des territoires. Les projets d’intérêt général impulsés par les collectivités permettent notamment de s’affranchir des clivages idéologiques voire de rassembler des sphères que l’on croyait opposées. C’est cet effet libérateur du mécénat, cette dynamique nouvelle entre parties prenantes d’un même territoire – entreprises, administrés, associations… et autres collectivités – qui donnent aujourd’hui aux partenariats publics-privés d’hier une toute nouvelle réalité, une toute autre dimension.
Sceaux Valley, so inspiring!
Lors de la deuxième conférence du fundraising pour les collectivités territoriales organisée par l’AFF en janvier dernier, une initiative illustrait tout particulièrement l’envergure que pouvaient prendre ces nouvelles dynamiques territoriales impulsées par les collectivités. C’est Othmane Khaoua, Conseiller municipal délégué à l’économie sociale et solidaire de Sceaux qui, sous l’autorité de Philippe Laurent, Maire de la ville, en est l’initiateur et le porte-parole. A l’échelle de son territoire, il a participé au développement de ce qu’il décrit comme le « premier réseau social territorial des acteurs du changement ». Après avoir fait à son tour le constat d’un service public « à bout de souffle, fragilisé par la baisse des dotations de l’Etat », cet élu, lui-même emprunt d’une culture et d’un esprit entrepreneurial forts, s’est ainsi lancé dans la création d’un écosystème territorial d’innovation sociale dont la vocation est de faire émerger des projets à impact social positif en vue de favoriser leur développement. Le mécénat et la collecte de fond, notamment les techniques de crowdfunding, constituent alors des solutions de financement pour ces différents projets…
A l’origine du projet et dès 2012, une consultation participative citoyenne menée par la ville de Sceaux auprès de sa population avait révélé une volonté vive de rassemblement et une forte propension à la création de lien social au sein de cette ville. Pas moins de 169 propositions formulées par les habitants avaient d’ailleurs été recensées au sortir de cette consultation. Ce terreau fertile au vivre-ensemble faisait de Sceaux « un territoire d’expérimentation idéal pour passer cette fois à une nouvelle logique du faire-ensemble, et un laboratoire d’innovation sociale en puissance » explique Othmane Khaoua.
Ainsi, l’été dernier, la municipalité a lancé Sceaux Valley, un « modèle » d’écosystème qui favorise l’émergence de solutions durables et vertueuses face à des besoins du territoire. En s’appuyant notamment sur Up Sceaux, un réseau social dédié à l’ESS, lancé en partenariat avec le Groupe SOS dans le cadre de son programme Up Campus, la ville fédère ses différentes parties prenantes autour d’associations, fondations ou entreprises sociales… A ce jour, la plateforme recense 74 porteurs de projets issus du territoire comme d’en dehors. Pour les aider à développer ces projets, en fonction de leurs spécificités et de leur niveau de maturité, une Maison de l’ESS les oriente vers des partenaires spécialisés dans l’accompagnement à l’entrepreneuriat social. « Nous avons ainsi constitué un réseau de partenaires capables d’intervenir à chaque étape de la chaîne de création de valeur : espaces de co-working, construction du business modèle, validation du business plan, etc. » poursuit Othmane Khaoua. Parmi eux, Kiss Kiss Bank Bank ou encore le Groupe La Poste contribuent plus spécifiquement au financement de certains de ces projets.
Si Sceaux Valley n’en est qu’à ses débuts, les premiers résultats sont très encourageants. Sceaux Smart, nouvel espace de coworking et de télétravail a récemment vu le jour. Et très prochainement, la ville sera en mesure d’officialiser la création d’un nouveau DU dédié à l’ESS et la RSE à l’Université Paris Sud, dont l’IUT est implanté sur le territoire. Deux projets qui, hier issus de l’écosystème, s’intégreront demain directement au processus de création de valeur… Bien au-delà des frontières de la ville, d’autres porteurs de projets ont vite été séduits par cette nouvelle démarche au point d’importer certaines de leurs actions au sein de cette nouvelle terre entrepreneuriale d’accueil. C’est notamment le cas de Cestbonesprit qui y organisera très bientôt des vides greniers solidaires afin de favoriser le lien social. « Le local au service du global et le global au service du local », telle est la nouvelle devise entrepreneuriale arborée fièrement par Othmane Khaoua, sorte d’intrapreneur à l’échelle de sa ville, qui se réjouit de cette nouvelle attractivité du territoire et de l’arrivée de nouveaux acteurs de l’économie sociale et solidaire. Qui sait, peut-être que ces mouvements inspireront demain la venue d’autres types d’acteurs économiques qui viendront consolider l’économie résidentielle de la ville…
Vers un nouveau rôle des collectivités ?
Si de nombreuses collectivités locales s’interrogent encore sur le recours au mécénat et à la collecte de fonds, d’autres, comme la ville de Sceaux, se sont ainsi pleinement appropriées ces sujets au point de les intégrer plus globalement parmi leurs outils de développement économique, de marketing territorial et de mobilisation communautaire. L’objectif est clair : maintenir un niveau d’intervention publique de qualité et en développer de nouvelles en répondant collectivement, plutôt qu’individuellement, aux nouveaux besoins du territoire.
Se pose alors la question du nouveau rôle de la collectivité… Car si Othmane Khaoua estime « vitale » de repositionner le pouvoir public au cœur de son écosystème, moteur d’un « territoire intelligent », en lui faisant endosser le nouveau rôle de « facilitateur ou d’animateur actif d’un processus d’innovation ouverte » entre différentes parties prenantes, d’autres campent sur les positions d’un pouvoir qui doit indéniablement rester focalisé sur des politiques publiques que lui seul peut et doit assumer. Que le contraire serait forcément le signe d’un transfert ou d’une fuite de ses responsabilités fondamentales. Qu’il ne faut sous aucun prétexte s’en décharger. Au final, la diversité des rythmes, modèles et degrés de rapprochement entre sphère publique, monde économique et administrés d’un territoire montre que les perspectives sont immenses et que les lignes bougent progressivement. A chacune de ces conceptions, le mécénat et la collecte de fonds s’imposent de plus en plus comme une alternative crédible et durable. Entreprises, associations, concitoyens… et collectivités locales s’accordent peu à peu sur le fait que, dans le contexte de crise actuel, chacun doit assumer ses responsabilités et contribuer à son niveau à la prise en charge de l’intérêt général. Dès lors, tous peuvent potentiellement en devenir les porte-voix et les chefs d’orchestre, y compris la force publique. Tous peuvent s’emparer de ces puissants leviers de mobilisation collective et d’actions que sont le mécénat et la collecte de fonds, ne serait-ce que pour mieux les mettre en musique…
Par Sylvain Reymond
Source : Fundraizine Magazine, AFF (mars 2016)
Photo : Hôtel de ville de Sceaux : table ronde « Les acteurs du changement : les clés de la réussite » organisée dans le cadre du Forum de l’ESS de Sceaux en novembre 2015.
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