Presque deux ans après le lancement en France des Contrats à Impact Social (CIS) et un an après notre précédent article dédié sur mécénova, nombre de questions restent en suspens. Comment fonctionnent-ils, et quelle(s) utilisation(s) en fait-on aujourd’hui en France ? Quelles avancées et pour quelle évolution ? Sans évoquer les débats éthiques qui se cristallisent autour du sujet.
Par Alicia Izard (Les entreprises pour la Cité) et Steven Bertal (Génération 2) pour mécénova
Cet article, première pierre d’une réflexion en deux parties, n’a pas vocation à prendre position sur le bien fondé des CIS, mais plutôt à éclairer sur leur genèse et effectuer un point d’étape, pour observer leur mécanisme et les premiers résultats à l’aune de l’expérience. Le mois prochain, un second article, plus critique, nous permettra de pousser la réflexion sur l’avenir des CIS en France.
Rétrospective : l’origine des Social Impact Bonds (SIB) anglo-saxons
Le SIB, créé en Grande-Bretagne, suit une logique anglo-saxonne de “Pay for Success” : l’état rémunère des investisseurs privés en fonction de l’impact social (et non économique) d’un projet qu’ils ont financés, sur des taux allant jusqu’à 15%. Le premier contrat, opéré par One Service, est apparu en 2010 à la prison de Peterborough. Doté d’un budget de 8M€ sur 8 ans contractualisé avec le gouvernement anglais, il avait pour objectif de réduire la récidive en sortie de prison de 7,5% entre 2010 et 2015 sur une population déterminée. Sur la période les investisseurs ont été remboursés entièrement et le taux de récidive a chuté de 9%[1].
Les SIB ont ensuite été répliqués aux Etats-Unis, au Canada et en Australie avant de s’étendre à un total de 19 pays. Aujourd’hui, 89 SIB représentent dans le monde plus de 250 millions d’euros. Les anglo-saxons investissent plusieurs millions d’euros par SIB, permettant aux américain d’allouer des moyens à une analyse scientifique comparative sur la mesure d’impact, et aux anglais de mesurer quant à eux l’atteinte d’objectifs. Certains pays de l’UE comme le Portugal et la France ont choisi de les utiliser comme outil d’expérimentation, en investissant 1,5 million d’euro ou moins par contrat. La Finlande fait figure d’exception, avec un contrat signé à 17 millions d’euros !
Au niveau international le Global Social Impact Investment Steering Group regroupe des comités de l’UE et 13 autres pays chargés de développer l’investissement à impact social. En France, le Comité National Consultatif sur l’Investissement à Impact Social présidé par Cyrille Langendorff a remis en 2014 un rapport sur les Investissements à Impact Social et créé l’Impact Invest Lab qui participe à l’expérimentation et le retour d’expérience sur les CIS en France.
Du SIB au CIS, l’adaptation française
La particularité de l’adaptation en France des CIS tient à notre vision unique de l’intérêt général : trouver un bon compromis entre la mise en place de l’outil et la spécificité culturelle et juridique de l’ESS. Le 16 mars 2016, le cabinet de Martine Pinville, alors secrétaire d’État en charge de l’ESS, a initié un appel à projet qui durera jusqu’au 31 mars 2017. Les administrations avaient la charge de préparer le règlement de l’appel à projet, et Bercy d’accompagner les lauréats sur leur financement.
Depuis, le CIS a pour objet de « financer l’innovation sociale à travers des projets expérimentaux répondant à des problèmes sociaux mal couverts[2]». Il s’agit d’ajouter un nouveau levier pour financer le risque, peu pris en charge par la palette d’outils préexistants. L’ambition est ouverte : intégrer les dispositifs soutenus aux politiques publiques ou pérenniser leurs modèles économiques.
Etat des lieux général
Durant l’appel à projet, 62 opérateurs ont déposé leurs candidatures, et 13 d’entre eux ont à ce jour été labellisés “Contrat à Impact Social” : Adie, Impact Partenaires, Passeport Avenir, Sauvegarde du Nord, les Apprentis d’Auteuil, Aréli, Médecin du Monde, La Cravate Solidaire, Wimoov, Action Tank « Entreprises et Pauvreté », Solidarités Nouvelles face au chômage, Foncière Le Chênelet, ONG Santé Diabète.
D’après BNP Paribas, qui accompagne la structuration de 7 projets, 5 d’entre eux sont en bonne voie pour être signés et démarrés au premier semestre 2018 :
- Passeport Avenir – bailleurs : Ministère de l’agriculture et Bercy
- Solidarités Nouvelles face au chômage – bailleurs : Ministère du Travail et Bercy
- Wimoov – bailleurs : Ministère du Travail et Bercy
- La Cravate Solidaire – bailleurs : Ministère du Travail et Bercy
- Apprentis d’Auteuil – bailleurs : Départements de Loire Atlantique, de Gironde et du Nord
A date, un seul contrat a été signé et a permis le lancement du projet : celui de l’ADIE, qui fait l’objet d’un focus en fin d’article. Depuis mars 2017, aucun autre appel à projet sur les CIS n’a été lancé. Le changement de gouvernement a eu naturellement pour conséquence de temporiser l’évolution du dispositif.
Fonctionnement du CIS : l’ingénierie
« Le contrat à impact social est un concept, dont certains paramètres restent fixes, et d’autres varient, y compris les aspects culturels. Les membres de l’iiLab ont donc établi leur charte éthique.[3] »
Raphaëlle Sebag, Déléguée Générale, Impact Invest Lab
En effet le CIS n’est pas aujourd’hui un dispositif figé. Il s’agit d’un outil multi-acteurs dont le cadre juridico-financier a été laissé volontairement libre pour coller à la logique d’expérimentation. Le porteur de projet est placé au centre du dispositif, contrairement aux pays anglo-saxons où une organisation sert d’intermédiaire. Le règlement de l’appel à projets contraint de réunir un structurateur pour accompagner l’ingénierie, des bailleurs finaux (public), un évaluateur tiers et des investisseurs privés. L’ingénierie peut prendre de 6 à 12 mois et comprend une négociation entre les acteurs, qui partagent tous une volonté commune d’impact social, puis une phase de structuration administrative.
« L’appel à projet a donné lieu à la labellisation de lauréats par le secrétariat d’état à l’ESS : le label garantit que ces projets entrent dans la logique du CIS au yeux de la puissance publique et suppose qu’ils seront un jour signés et mis en oeuvre. »
Adrien Baudet, Consultant-Chercheur, KPMG & ESCP Europe
Une fois labellisé, le contrat passe sous la tutelle du ministère concerné, bailleur de fonds final, et nécessite des mois de structuration avant la signature entre tous les acteurs. À l’issue du contrat, l’évaluateur tiers indépendant mesure l’impact social du projet au regard de critères préétablis, conditionnant la rémunération financière. Ce sujet étant particulièrement épineux en France, des garde-fous ont été mis en place :
- Il a été implicitement décidé de rembourser le capital sur la mesure des moyens mis en oeuvre par l’opérateur pour atteindre les objectifs, et de baser le calcul des intérêts sur la mesure des résultats, garantissant ainsi un équilibre dans la prise de risque.
- Le gain pour les investisseurs, et donc le surplus de coût pour l’état, est limité à 5,5%.
Quels avantages perçus ?
Pour l’État, le principal avantage du CIS est de faire porter le risque à un investisseur privé, permettant ainsi le financement de projets innovants, destinés à être répliqués ou à devenir des politiques publiques. Outil complémentaire aux subventions qui n’étaient pas en mesure de couvrir ce risque, il n’a pas vocation à financer des projets dont les résultats seraient garantis, d’autant que sa complexité générerait une dépense globale supérieure pour les pouvoirs publics. Par ailleurs, l’intervention d’un évaluateur tiers, nouveauté dans la mise en place de dispositifs étatiques, garantit la bonne utilisation des fonds publics une fois affectés. L’intérêt est aussi surtout la retombé sociale effective de la valeur partagée, que nous aborderons dans le deuxième article.
Pour les investisseurs, qui s’orientent de plus en plus vers des placements responsables[4] / à impact social[5], les CIS viennent enrichir l’éventail d’outils existants (microcrédit, Joint Ventures Sociales, etc.). Depuis la loi ESS de 2014 instaurant les fonds d’épargnes solidaires, plus de 500 millions d’euros dorment faute de débouchés insuffisants. Les CIS offrent à leurs gestionnaires la possibilité d’injecter concrètement ces fonds dans l’ESS.
Si comme tout outil financier, le CIS offre un retour sur investissement, son montant est limité à 5,5% (plafond des titres associatifs). Des critiques dénoncent des gains engendrés sur le dos des publics en difficulté, voire la libéralisation[6] du secteur et la fin de l’état providence, quand d’autres acteurs y voient un moyen pour le privé de se positionner sur des sujets d’intérêt général.
Pour l’opérateur le CIS représente un type de financement supplémentaire sur des montants supérieurs aux subventions, avec une prise de risque financier nul comparé à l’autofinancement. De plus le dispositif d’évaluation permet de mieux piloter la stratégie dans une logique d’amélioration continue, de rendre des comptes précis à ses financeurs et de valoriser le travail mené. Sur le plan financier le contrat peut comprendre le partage d’une prime avec l’investisseur en cas de dépassement des objectifs.
En conclusion, outres les observations des SIB à l’étranger[7], les acteurs concernés par les premiers CIS s’accordent sur le fait qu’il est trop tôt pour évaluer le dispositif tel que mis en place en France. D’autant plus qu’il n’apparaît pas comme une finalité mais comme une opportunité pour les acteurs de se concerter et faire émerger des solutions nouvelles. Il apparaît que pour certains projets la pertinence du CIS n’est pas démontrée, et que d’autres types d’investissement sociaux s’avèrent plus adaptés.
En mars, nous aborderons à nouveau les CIS, avec une approche critique sur la philosophie et leurs perspectives d’évolution.
FOCUS SUR L’ADIE
Le CIS de l’Adie, signé en mai dernier, est pour le moment le seul à avoir démarré. Reconnue d’utilité publique, l’association accompagne et finance depuis 30 ans les personnes fragiles économiquement et exclues du crédit bancaire à la création de leurs entreprises, à travers un réseau de 129 agences.
Le projet de « microcrédit adapté à la ruralité » retenu dans le cadre du CIS s’étend sur une durée de 6 ans (3 ans d’expérimentation et 3 ans d’évaluation post-projet). Il vise à rendre accessible le financement et l’accompagnement de l’Adie aux résidents de zones rurales isolées en adaptant les méthodes de travail pour diminuer les déplacements depuis ou vers les antennes de l’association et rapprocher les solutions d’accompagnement post-financement. Cette approche constitue une innovation importante dans les méthodes de travail et procédures d’octroi de microcrédit historiquement pratiquées par l’Adie.
Les territoires d’implantation du projet sont l’Ariège, l’est de l’Allier, l’Ouest de la Saône-et-Loire, la Nièvre, les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence.
Les critères d’évaluation sont au nombre de 3 :
- Critère de moyens : accompagner et financer entre 269 à 500 bénéficiaires
- Critère de résultat : assurer l’insertion économique de 172 et 320 bénéficiaires.
- Critère qualitatif : l’éligibilité des bénéficiaires est évaluée selon un score d’exclusion sociale et financière, c’est-à-dire de leur éloignement par rapport aux dispositifs existants.
Les investisseurs ayant pris part au projet sont BNP Paribas, la Caisse des Dépôts, AG2R La Mondiale, Mobiliz Invest et la Fondation Avril.
Le budget du projet est de 1,2 M€, auxquels s’ajoutent 100 K€ d’ingénierie principalement obtenus par la disposition de compétences des partenaires structurateurs.
Le coût final pour l’Etat s’élèvera à 1,3 M€ si les objectifs définis sont atteints (269 personnes financées et 172 personnes insérées), et jusqu’à 1,5 M€ si le projet dépasse ses promesses (prime de succès).
Structuration du projet :
La phase d’ingénierie a pris environ 9 mois car relativement complexe dans son montage juridique et financier en raison de la diversité des parties prenantes associées. Concernant l’ingénierie de l’évaluation d’impact, celle-ci a été facilitée compte tenu du savoir-faire de l’Adie en la matière (voir étude[8] de son impact économique réalisée par KPMG en 2016). Celle-ci démontre que 1 euro investi dans l’action de l’Adie fait économiser au bout de deux ans 2,38€ pour la collectivité. C’est à partir de cette étude qu’ont pu être définis les critères quantitatifs de ce CIS.
Pilotage du projet :
Pour assurer la bonne réussite du projet, un comité de pilotage national et des comités locaux se réunissent tous les 6 mois avec tous les acteurs impliqués dans le CIS. Jusque là, les résultats s’annoncent probant :
“Nous ne pouvons pas anticiper les résultats de l’expérimentation
mais les premiers bilans mettent en confiance pour la suite.”
Nesrine Dani, Responsable des partenariats privés, Adie
[1] Social Finance, Juillet 2017, Londres,World’s 1st Social Impact Bond shown to cut reoffending and to make impact investors a return
[2] Archives du ministère, novembre 2016, Portail de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes publics
[3] Charte Ethique, Impact Invest Lab
[4] BlackRock appelle les entreprises à oeuvrer pour le bien commun, janvier 2016, Novethic
[5] L’impact Investing, pour que grandes causes et rendement ne s’opposent plus, février 2018, Madyness
[6] Pour aller plus loin dans le débat, voir le rapport et les articles suivants :
– Les Contrats à impact social, des SIB à la française, avril 2016, Collectifs des Associations Citoyennes
– Jean-Sébastien Alix & Michel Autès & Nathalie Coutinet & Gabrielle Garrigue, janvier 2016, Les Contrats à impact social, une menace pour la solidarité ?, 2018, Idées.fr
– Erwan Manac’h, Janvier 2018, Quand la Start-up nation s’attaque à l’économie sociale et solidaire, Politis
[7] OCDE, 2016, Social Impact Bonds, State of Play and Lessons Learnt
[8] KPMG, Adie, 2016, Synthèse de l’étude Retour social sur investissement (SROI) de l’Adie
[…] février, nous publiions un article bilan sur le CIS marquant un point d’étape quant à l’appel à projets lancé en 2016. Alors que l’Adie vient […]
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