Il y a tout juste un an, nous publiions deux articles sur les Contrats à Impact social en France, leur évolution deux ans après leur mise en place et leurs perspectives pour l’avenir. Aujourd’hui, à un an de la fin du premier contrat signé et alors que Christophe Itier a annoncé le lancement d’une mission sur les CIS, mécénova fait le point : quels sont les derniers CIS signés ? Quel est l’objet de la mission commanditée par Christophe Itier ? Quelles évolutions sont à prévoir ?
Le Contrat à Impact Social (CIS) en quelques mots
Ce dispositif, né en 2010 au Royaume-Uni sous le nom de Social Impact Bonds, désigne une collaboration contractuelle entre un investisseur, une structure à finalité sociale et l’Etat autour d’un projet d’intérêt général. L’investisseur finance l’expérimentation qui doit avoir une vocation préventive plus que réparatrice. Des critères d’impact sont établis en amont et le remboursement du financement par l’Etat dépend de l’atteinte de ces objectifs à l’issue du projet expérimental dont la fin est définie dans le contrat, l’objectif étant d’en faire une politique nationale en cas de réussite.
Après le succès du premier CIS britannique dans la prison de Peterborough, qui a permis une baisse du taux de récidive supérieure à l’objectif initial, le modèle s’est développé dans plusieurs pays du monde. A l’heure actuelle, 24 pays ont mis en place des CIS sur différentes thématiques, représentant 400 millions d’euros d’investissement et touchant 1 million de bénéficiaires[1]. En France, Thomas Boisson, Chef de pôle ESS et investissement à impact à la Direction générale du Trésor, a déclaré lors de la matinée débat sur les CIS du 18 avril[2] que le CIS peut répondre à trois types d’attentes :
- L’organisation de partenariats de long terme, par la mobilisation de manière cohérente des compétences diversifiées dans un climat de confiance ;
- La mobilisation d’expertises et d’évaluation particulièrement innovantes « capacity building », par le partage entre les acteurs et l’apprentissage du langage de l’autre ;
- La recherche des gains d’efficience.
Focus sur les 3 nouveaux CIS signés
En France, le dispositif du CIS reste encore méconnu et leur développement est timide. Depuis l’appel à projets lancé en 2016, 13 projets ont été labellisés CIS et seulement trois d’entre eux ont été signés un an plus tard.
En mars 2019, soit 3 ans après la labellisation, Christophe Itier, Haut-commissaire à l’Economie Sociale et Solidaire et à l’Innovation Sociale, a annoncé la signature de 3 nouveaux contrats, présentés ci-dessous :
- Wimoov (porteur de projet) –– BNP Paribas, Caisse des Dépôts, Ecofi Investissements (investisseurs) –– le Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social, Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, Ministère de l’Economie et des Finances (bailleurs) –– KiMSO (évaluateur)
Wimoov est une association créée en 1995, initialement pour favoriser le développement du covoiturage. Elle a peu à peu étendu son champ d’action à la mobilité inclusive, en créant 27 plateformes réparties dans 9 régions de France pour accompagner les personnes en situation de précarité vers une mobilité autonome, dans une logique d’insertion professionnelle et de maintien dans l’emploi.
Le contrat à impact social concerne l’expérimentation d’un programme numérique[3]. Les trois parties prenantes (le bénéficiaire, le conseiller mobilité de Wimoov et la structure partenaire (Pôle emploi, mission locale etc.)) auront accès à cette plateforme pour mettre à jour l’accompagnement du bénéficiaire et ainsi partager plus facilement et rapidement sur son « profil mobilité ».
Les objectifs à trois ans sont d’effectuer 10 000 Tests Mobilités pour mieux cerner les profils mobilités des bénéficiaires, d’assurer que 70% des tests réalisés se soient transformés en un accompagnement personnalisé par Wimoov. Le degré d’appropriation du Test Mobilité sera validé si 178% des tests ont été réalisés par des structures prescriptrices.
- La Cravate solidaire (porteur de projet) –– MAIF, Caisse des Dépôts, AVIVA, Fonds INCO (investisseurs) –– Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social, Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, Ministère de l’Economie et des Finances (bailleurs) –– KiMSO (évaluateur)
La Cravate Solidaire a été créée en 2012 par trois étudiants en école de commerce. Le principe est simple : collecter des vêtements de travail de type tailleurs, costume etc., les distribuer aux étudiants ou travailleurs en difficulté, puis leur proposer un accompagnement pour se préparer aux entretiens d’embauches.
Le CIS a pour objet de financer le projet « Cravate Mobile », un camion de très grande taille qui sillonnera dans un premier temps les routes du Val d’Oise et du Nord de la Seine-Saint-Denis pour venir à la rencontre des personnes éloignées de l’emploi et en difficulté de mobilité[4]. Ce véhicule permettra d’offrir à ceux qui n’ont pas la possibilité de se rendre à l’association de bénéficier des mêmes services que les autres. Ils auront donc la possibilité de discuter avec des bénévoles et d’accéder aux services du véhicule : un grand vestiaire contenant un grand panel de tenues professionnelles, une cabine d’essayage et un studio photo professionnel pour réaliser une photo de CV[5].
A l’issue des 3 ans de contrat les objectifs sont d’avoir accompagné 900 personnes, sensibilisé 140 bénévoles aux questions de la discrimination à l’embauche et d’avoir 3 à 4 points de plus de sortie positive vis-à-vis des partenaires d’insertion.
- Article 1 (porteur de projet) –– BNP Paribas, Groupe Caisse des Dépôts (investisseurs) –– Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et Ministère de l’Economie et des Finances, Fonds B. (bailleurs) –– KiMSO (évaluateur)
Article 1 agit en faveur de l’orientation, la réussite des études et l’insertion professionnelle, quelle que soit l’origine sociale. Ils agissent du bac-3 au bac+5 pour accompagner les jeunes, leur redonner confiance en eux et les familiariser avec le monde de l‘entreprise. En 2018, l’association a accompagné 12 000 jeunes.
Le CIS va permettre à Article 1 de mener ses actions dans les milieux ruraux, souvent éloignés des programmes d’égalité des chances. L’objet sera de développer la persévérance scolaire et de lever les barrières des jeunes faces à la poursuite d’études. En post-bac, l’accompagnement consiste à lutter contre le décrochage des élèves boursiers et issus des baccalauréats professionnels, par des ateliers et mentorats. Pour cette phase expérimentale de 2018 à 2023, le projet aura lieu dans les Hauts-de-France et en Occitanie.
Les objectifs à 5 ans sont l’organisation de 125 ateliers en pré-bac dans les établissements partenaires et qu’il y ait une augmentation de 7 points ; par rapport à la moyenne nationale sur les filières concernées ; l’augmentation du taux d’ambition des étudiants suivis (formulation d’au moins un vœu de poursuite d’études supérieures). En post-bac, les investisseurs seront remboursés si 100 mentors ont été formés et mobilisés auprès des étudiants et si l’on observe une augmentation de 5 points du taux d’assiduité des étudiants aux examens de fin de BTSA (Brevet de Technicien Supérieur Agricole) par rapport à la moyenne nationale sur les filières concernées.
Seulement 6 contrats signés à ce jour sur 13 labellisés, pourquoi ?
Ces nouveaux CIS viennent s’ajouter aux 3 déjà signés en 2016 avec les structures suivantes : Apprentis d’Auteuil, l’Adie et Solidarités Nouvelles face au Chômage. Trois ans après l’appel à projets qui a donné lieu à la labellisation de 13 CIS, seule la moitié de ces contrats est à ce jour signée et officialisée. Un tel délai s’explique par les dispositifs administratifs longs et la structuration des contrats, rendue complexe par la multiplicité d’acteurs (jusqu’à 5 ministères et collectivités locales, des banques et fonds d’investissement et un évaluateur réunis) présents aux négociations. Pour faciliter le processus, un« structurateur », l’une des banques qui finance, fait le lien entre tous ces acteurs et leurs différents langages[6]. En effet, chaque partie prenante des contrats à impact social est issue d’un milieu différent (associatif, public et financier privé), et exprime des attentes qui peuvent diverger selon leur métier et leur secteur. Pour mettre en place un CIS, il faut donc nécessairement trouver des compromis, des points de convergences pour mettre tout le monde d’accord. Article 1 déclare par exemple avoir signé pas moins de 8 conventions avec les différentes parties prenantes[7]. Wimoov et la Cravate Solidaire, qui avaient tous deux signé en 2017, ont mis deux ans pour trouver un accord avec leurs partenaires et structuré le CIS. De son côté, l’association Solidarités Nouvelles face au Chômage nous a indiqué poursuivre les travaux sur le CIS signé en 2017 mais n’a pas d’éléments actualisés à communiquer à ce stade.
La mission commanditée par Christophe Itier
Pour pallier cette lourdeur de processus entre la labellisation et le démarrage d’un tel contrat, Christophe Itier a annoncé le 7 mars 2019 le lancement d’une mission dédiée au développement des CIS. L’objectif premier de cette mission est de faciliter la mise en place d’un Contrat à Impact social, de manière à réduire les délais actuels qui s’étalent sur plusieurs années. Seront également proposés des outils pour permettre aux acteurs de l’intérêt général et collectivités publiques, quel que soit leur langage, de s’approprier les aspects juridiques et financiers des CIS. Enfin, est étudiée la mise en place d’un « fonds commun » pour mutualiser l’ensemble. Dirigée par Frédéric Lavenir, Inspecteur Général des Finances et président de l’Adie, la mission intègre des investisseurs, des pouvoirs publics ainsi que des évaluateurs et des organisations sociales et donnera ses conclusions en juin 2019.
« Le Contrat à Impact Social est ainsi à la fois un outil de financement de l’innovation sociale et de transformation de nos politiques publiques – souvent encore trop centrées sur la réparation – vers des logiques de prévention et d’économies structurelles en matière de dépense publique. Nous devons créer les conditions du changement d’échelle de l’investissement à impact social en France en soutenant ces dispositifs innovants que d’autres pays en Europe et dans le monde ont déjà mis en place avec succès. La mission confiée à Frédéric Lavenir poursuit cet objectif. »[8]
Christophe Itier
Un dispositif inédit… et inattendu
Enfin, un nouveau dispositif a vu le jour pour compléter les apports financiers de l’Etat encore trop peu élevés au regard de l’investissement initial de tous les acteurs pour la mise en place d’un tel contrat. Le CIS impliquant Article 1 est le premier contrat à intégrer parmi ses payeurs finaux un acteur privé : le Fonds B. Ce fonds de dotations est né en 2017, à l’initiative de Marion de la Patellière et Pauline Heuzé, fondatrices du cabinet de conseil en innovation sociale SB Factory. Elles avaient précédemment travaillé sur la mise en place des CIS en France avec Bercy. Devant la difficulté des acteurs sociaux à trouver suffisamment d’acteurs publics comme payeurs finaux, les associées ont décidé de créer le Fonds B., venant en complément de l’acteur public pour mettre en place des projets de taille significative. Financé par des philanthropes, dont le fonds de dotation d’Emmanuel Faber, le Fonds B. peut être contacté par les porteurs de projets en difficultés de payeurs finaux.
En parallèle, le Fonds B., en partenariat avec la Fondation La France s’Engage et la Chaire Finance pour l’innovation d’Audencia, organise des événements sur les CIS, ses évolutions législatives ainsi que les prochains projets en cours d’élaboration. Le premier a eu lieu à Station F le 18 avril 2019, un deuxième est prévu au mois de novembre prochain.
Et après ?
Un élément semble manquer à l’appel de la mission de simplification/démocratisation des CIS : que se passera-t-il une fois le contrat terminé ?
Au Royaume-Uni, si les objectifs sont atteints à la fin du contrat, la puissance publique est censée reprendre le dispositif pour en faire une politique à proprement parler. En France, rien n’est encore prévu, alors même que le premier CIS mis en place par l’Adie prend fin cette année. Le 26 mars 2019, Marc Olivier, Directeur financier de l’association, faisait part de son inquiétude à Mediatico en déclarant n’avoir aucune visibilité sur les financements possibles pour pérenniser et essaimer le programme après la fin du contrat.
Par ailleurs, l’arrivée de la Philanthropie parmi les payeurs finaux du Contrat à Impact Social, pose question : quid de la capacité de la puissance publique à assumer financièrement de tels dispositifs ? Quelle responsabilité de l’Etat quant au remboursement de la prise de risque liée à l’expérimentation, laquelle est déjà prise en charge par les investisseurs privés ? Peut-on encore parler de CIS au sens définit par les Social Impact Bonds qui ont été initiés dans les pays anglo-saxons et dont la pratique a été reprise dans une vingtaine de pays du monde ?
Affaire à suivre…
[1] https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/nouvelle-ambition-en-faveur-linvestissement-impact-social
[2] Evénement organisé par la Fondation la France s’engage en partenariat avec le Fonds B. et la Chaire Finance et Innovation d’Audencia.
[3] https://group.bnpparibas/actualite/contrat-impact-social-bnp-paribas-wimoov
[4] « La Cravate Solidaire, pour que chaque demandeur d’emploi puisse porter un costume ou un tailleur », Mediatico (blog), 12 avril 2019.
[5] « Contrat à Impact Social : BNP Paribas et La Cravate Solidaire », BNP Paribas, consulté le 15 avril 2019.
[6] « Comment bien structurer un Contrat à Impact Social : défis et opportunités », BNP Paribas, consulté le 17 avril 2019.
[7] « Le CIS “persévérance et ambition scolaire dans les zones rurales” », Article 1 (blog), 11 mars 2019.
[8] Denis Lapalus, « Contrat à Impact Social (CIS) : du concret, avec la signature de 3 nouveaux contrats : Wimoov, La Cravate Solidaire et Article 1 », Guide Epargne, consulté le 16 avril 2019.
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