Le parcours de Claude Fromageot ne saurait se résumer à ses études et à ses responsabilités au sein du Groupe Rocher. Cet amoureux de la nature, passionné par la musique, est avant tout animé par une envie : celle de préserver l’environnement et la biodiversité à travers le monde. Une ambition qu’il porte au quotidien avec sa double casquette de Directeur du développement responsable du Groupe Rocher et de la Fondation Yves Rocher-Institut de France.
De la recherche au développement durable et au mécénat
Issu d’une famille de chercheurs, Claude Fromageot entreprend tout d’abord des études de biologie à l’Institut National Agronomique[1], qui l’aidera à forger sa vision des interactions de l’humain avec la nature. Un apprentissage du monde complexe, qu’il complète par la lecture d’un ouvrage de Douglas Hofstadter[2], qu’il qualifie comme un moment ʺsidérantʺ de sa vie, au même titre que la découverte de la poétique de l’eau et du vent lors de ses vacances en bord de mer étant enfant. Personnalité curieuse de tout et joueur de violon expérimenté, Claude Fromageot est à la recherche perpétuelle de la « symbiose » entre la rigueur des sciences du vivant et la quête d’harmonie présente dans toute œuvre musicale.
Intéressé par les métiers de l’olfaction, Claude Fromageot entre au Groupe Rocher au sein d’une usine, débutant sur des postes liés à la production. Quelques années plus tard, il effectue un MBA à HEC et exerce en qualité de consultant en management et stratégie des entreprises. Au bout de six ans, il est rappelé par Yves Rocher pour revenir dans le Groupe en tant que Directeur de la recherche en cosmétique végétale. Claude Fromageot choisit de relever le défi en y apportant sa vision holistique des sciences « fortement inspirée par Edgar Morin » et en constituant une équipe très hétérogène pour approcher les sujets de manière pluridimensionnelle.
En 2011, il devient Directeur du développement responsable du Groupe Rocher et de la Fondation Yves Rocher. Une transition naturelle selon lui, son bagage scientifique lui permettant de mieux appréhender les notions complexes du développement durable. Il trouve ainsi dans le développement responsable et le mécénat plusieurs points communs avec le domaine de la recherche scientifique : « Dans la recherche, on a l’humilité de toujours savoir qu’on a une approche sensible (…). Quand vous occupez une fonction dans le développement responsable, votre approche se doit également d’être humble » précise-t-il.
Le développement responsable dans l’ADN du Groupe Rocher
Claude Fromageot définit simplement son rôle au sein d’Yves Rocher : « Travailler avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise sur cette question : comment peut-on faire évoluer notre exercice de la responsabilité ? ». Et les enjeux sont nombreux : comment dépasser l’idée que l’entreprise est seulement génératrice de revenus financiers ? Comment faire en sorte qu’elle impacte positivement ses territoires d’implantation et leurs acteurs ? Cet engagement du Groupe au service des autres a vu le jour dans le village breton de La Gacilly, berceau de la marque il y a 60 ans. « À l’époque, l’ambition de M. Yves Rocher n’était pas seulement de créer une entreprise, mais de permettre le développement de tout l’écosystème autour » précise Claude Fromageot. Promesse tenue : La Gacilly est désormais devenu un véritable lieu de bien-être, illustré par son Jardin botanique devenu référence mondiale, grâce aux forts engagements initiaux du fondateur Yves Rocher, puis de son fils Jacques, actuel président d’honneur de la fondation. « Nous sommes une entreprise proche de la nature, familiale et dont les actions s’inscrivent dans le temps » renchérit Claude Fromageot.
Rattachée d’emblée à Jacques Rocher et donc à la direction générale du Groupe, la stratégie développement durable s’est structurée dès les années 2000 par des actions très concrètes et a permis à l’entreprise d’expérimenter son lien au végétal très tôt, en France et dans le monde. Claude Fromageot précise : « les efforts se sont tournés en premier lieu vers les sujets environnementaux, notamment ceux du respect de la nature et du végétal, pour tenter de sensibiliser la société à la préservation de la biodiversité. » L’entreprise s’est depuis saisie du volet social en prenant soin de conserver une majorité d’emplois en Bretagne. Aujourd’hui, Claude Fromeageot reste conscient du chemin à parcourir : « Même si actuellement nous sommes capables de connecter partout dans le Groupe nos impacts sociétaux et que nous portons une vision à horizon 2020, une démarche de développement responsable est réellement une très longue route. »
Face à ces enjeux fondamentaux pour l’avenir de la planète, Yves Rocher déploie ainsi une réflexion autour de l’éco-design, de l’impact environnemental des produits, de la relation à la consommation, et plus largement autour de l’ère de l’anthropocène[1] ainsi que l’évolution des pratiques sociétales. Claude Fromageot se dit optimiste : « Il faut à la fois beaucoup d’enthousiasme et de passion dans ce métier parce qu’il y a beaucoup de signaux désespérants. Tout en restant lucide, il faut trouver les voies d’être tout simplement heureux de faire ce que l’on fait pour faire bouger les lignes ».
La Fondation Yves Rocher, un laboratoire au service de la nature
Créée en 1991 à l’initiative de Jacques Rocher et placée sous l’égide de l’Institut de France depuis 2001, la Fondation Yves Rocher a été conçue dès son origine comme un « pulsar, un phare, quelque chose qui rappelle à tous les collaborateurs que le Groupe est devenu ce qu’il est grâce à la nature et au végétal » affirme son directeur. Tout à fait complémentaire aux missions de la Direction du Développement Responsable, la fondation est présentée comme un véritable laboratoire, lieu d’expérimentation et de rencontres avec des acteurs issus d’univers variés, traditionnellement éloignés du monde de l’entreprise. C’est ainsi que Claude Fromageot nous cite l’exemple d’un projet d’ethnobotanique[1], durant lequel il a pu travailler aux côtés des équipes de l’ENS[2] et de l’EHESS[3] pour réfléchir aux questions du rapport des humains à la nature. « Evidemment, cela ne représente pas le quotidien des entreprises, mais ces activités nous permettent de nous irriguer de connaissances absolument essentielles, qui nous aident par la suite à faire des choix beaucoup plus astucieux dans la conduite de l’entreprise » souligne-t-il.
Une fondation qui permet d’éprouver des projets et d’orienter positivement les décisions de son entreprise fondatrice : c’est ce que revendique Claude Fromageot, tout en précisant qu’il veille à ce qu’elle reste indépendante, qu’elle ait sa propre vision, ses propres activités. « Entre le Groupe et sa fondation, il y a un éclairage mutuel. Nous sommes sur les mêmes fondamentaux : la biodiversité et le rapport au territoire. » Si la Fondation Yves Rocher œuvre à la conservation de la nature et de la biodiversité en France et dans plus de 50 pays du monde, elle se caractérise avant tout par son mode d’action au plus proche du terrain, et ce depuis sa création il y a près de 26 ans. « Toutes nos actions sont vraiment très concrètes, de l’ordre du micro-projet » précise le directeur de la Fondation.
Quatre programmes en faveur de la biodiversité
L’équipe de la fondation met ainsi en œuvre quatre programmes ambitieux et complémentaires, tous liés à la préservation de la biodiversité :
- « Plantons Pour la Planète », initié il y a 8 ans en partenariat avec Afac-Agroforesterie, le réseau des professionnels de la haie, de l’arbre champêtre et de l’agroforesterie. Ce programme vise à planter 100 millions d’arbres d’ici 2020 à travers le monde avec des ONG spécialistes de la reforestation. Si les bénéfices sont multiples (atténuation des effets du changement climatique, lutte contre l’érosion des sols, stockage de carbone…), Claude Fromageot reste lucide : « Il ne faut pas oublier que 100 millions d’arbres, cela représente seulement 15 jours de déforestation dans le monde… »
- La fondation déploie également le programme « Terre de Femmes » dans 11 pays du monde, afin de récompenser et donner un coup de pouce aux femmes qui agissent quotidiennement pour la protection de l’environnement et de la biodiversité. Avec 400 femmes récompensées depuis plus de 17 ans, ce prix entend favoriser l’autonomisation des femmes, « premier levier de création de valeur d’un collectif, d’un territoire, d’un pays» selon Claude Fromageot. La raison de cet engagement ? Le directeur de la fondation estime qu’il est « lié au fait que sur le terrain, les femmes ont une approche du développement subtile, intéressante, forte, qui mérite un soutien. »
- La Fondation Yves Rocher mène également le projet « Photo, Peuples & Nature » dont l’objectif est de soutenir des photographes engagés qui mettent en lumière l’état de la planète via cet art accessible à tous. Des artistes mondialement reconnus, comme Emanuele Scorcelletti et Brent Stirton ont notamment été soutenus dans le cadre de leur travaux respectifs en Inde et en Ethiopie.
- Enfin, par un mécénat en nature, financier et de compétences via le programme « Plantes & Biodiversité », la fondation soutient des scientifiques, chercheurs et botanistes, acteurs de la protection de la biodiversité, afin de sensibiliser le grand public au sujet de la préservation de la biodiversité.
Des interactions fondation-entreprise renforcées
Grâce notamment à la personnalité de Jacques Rocher, actuel directeur de la prospective du Groupe Rocher et président d’honneur de la fondation, cette dernière occupe selon Claude Fromageot une place particulière dans l’esprit des collaborateurs du Groupe, et renforce la fierté d’appartenance à l’entreprise. Un lien avec les salariés qui est également fortifié lors de la semaine We R Change, qui propose de sensibiliser et de mobiliser les collaborateurs autour des 5 objectifs définis à horizon 2020 dans le cadre de la stratégie de transformation durable du Groupe.
La Fondation Yves Rocher est devenue une référence dans le domaine de la préservation de la biodiversité. « 27 ans d’actions nous donnent, en toute humilité, une grande crédibilité. Partout où l’on va, les acteurs avec lesquels on travaille, ceux qui les entourent, les autorités, viennent nous visiter et reconnaissent que c’est un véritable engagement » reconnaît Claude Fromageot. Une reconnaissance légitimée par les parties-prenantes de l’entreprise, qui pousse l’équipe de la fondation à aller encore plus loin pour faire avancer la cause des arbres, des femmes et du développement, tout en gardant une certaine pudeur à communiquer : « On est assez concentré pour essayer de bien faire notre travail mais nous ne sommes pas de grands communicants » précise le directeur de la fondation.
La nécessité d’un changement de modèle
Lorsque l’on questionne Claude Fromageot sur sa vision du mécénat, il évoque la nécessité de changer de comportement, de modèles, de politiques, pour espérer voir se développer une stratégie durable à large échelle. Faire en sorte que chaque individu change son comportement, cela signifie également repenser la relation que l’être humain entretient avec la nature de nos jours : un rapport direct inexistant avec les animaux sauvages, le minéral et un rapport au végétal très distancé, surtout en milieu urbain.
Il établit un deuxième constat : bien que les grandes entreprises entament aujourd’hui une réflexion plus ou moins profonde sur leur manière d’agir et sur leurs externalités sociales et environnementales, elles ne bénéficient pas d’un cadre politique suffisamment incitatif pour véritablement transformer leur modèle. Et Claude Fromageot de préciser : « Les entreprises ont besoin d’un politique qui fournisse un cadre ambitieux pouvant réellement modifier les pratiques. Elles ont également besoin de citoyens qui se réorganisent, et d’institutions supranationales qui fassent bouger la manière dont est gouvernée l’Europe ». Selon lui, changer le modèle social de l’agriculture est nécessaire : « Nous devons retourner aux notions de territoires, de circuit-court pour trouver des modèles rentables qui fassent appel au bon sens, tout simplement ! ».
S’agissant du mécénat, il porte un regard lucide et pragmatique sur le secteur : « On ne peut pas faire la course à toujours plus de performance dans notre vie, dans notre travail, tout en sachant que cela produit des excès nocifs pour la société et la planète. Le mécénat ne doit pas être utilisé comme un élément de compensation. » Une preuve de plus, s’il en est, de l’engagement de Claude Fromageot en faveur d’un changement profond de modèle au service du vivant…
Propos recueillis par Oriane Hostin
[1] Qui depuis a rejoint l’école AgroParisTech.
[2] Gödel, Escher, Bach : Les Brins d’une Guirlande Éternelle de Douglas Hofstadter (1979)
[3] Popularisé par le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen en 1995, le terme d’anthropocène désigne la période qui a débuté lorsque les activités de l’Homme ont laissé une empreinte sur l’ensemble de la planète.
[4] La Fondation Yves-Rocher a soutenu un stage d’ethnobotanique de l’EHESS organisé au musée d’éthnobotanique de Salagon (Alpes de Haute-Provence).
[5] Ecole Normale Supérieure
[6] Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
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